Sortie de crise
Francis Ford Coppola se réinvente avec L’Homme sans âge (Youth Without Youth), un conte fantastique adapté de Mircea Eliade et où brille Tim Roth.
Huit ans sans tourner. Huit ans de silence depuis L’Idéaliste. Une absence d’autant plus remarquée qu’entre-temps le nom de Coppola s’est vu de plus en plus souvent associé au prénom de… Sofia, la fille prodige, à laquelle papa Francis se félicite aujourd’hui de » ne pas avoir fait d’ombre en sortant moi-même un film… » On a beau beaucoup aimer le réalisateur d’ Apocalypse Now, et ne point douter de son amour paternel, sa remarque se charge d’une involontaire ironie. Car c’est bel et bien désormais fifille qui fait l’événement dans le clan Coppola, Lost in translation et Marie-Antoinette ayant focalisé l’attention médiatique, alors même que Francis affrontait dans l’indifférence quasi générale une crise aux causes multiples.
» J’en étais venu à ne plus bien savoir où était ma place dans l’industrie du cinéma, commente-t-il aujourd’hui non sans lucidité. Je n’avais plus aucune envie de faire des gros films de studio, de reproduire des formules, et je me sentais tout aussi coincé que frustré. » La réussite insolente de sa société de production vinicole, située dans la vallée de Napa en Californie, le mettant par ailleurs largement à l’abri du besoin, Coppola senior (bientôt 69 ans) dut chercher une nouvelle motivation et la trouva, peut-être aiguillonné par l’exemple de Sofia, » du côté d’un désir de projets modestes et expérimentaux, petits, libres et avant-gardistes « . Ainsi devait naître L’Homme sans âge, adaptation fidèle et inventive à la fois d’une nouvelle de Mircea Eliade, tournée en Roumanie avec des techniciens locaux et un budget très raisonnable réuni en Europe.
Si, comme l’affirme le cinéaste, » l’amour est la racine même de toute chose « , son nouveau film inscrit cette vérité dans une bien étrange histoire où le temps échappe à la raison. Dominic Matei, le héros du film, s’y voit frappé par la foudre en pleine rue, et guérit de ses brûlures pour se retrouver, lui le professeur largement septuagénaire, dans le corps d’un homme de 35 ans ! Rajeuni dans ses facultés mentales comme physiques, il voudra mener à bien l’£uvre de sa vie : remonter aux origines du langage. Ce faisant, il verra renaître l’amour perdu de sa jeunesse, tout en devant fuir des menaces que l’époque, 1938, teinte de brun fasciste… Tim Roth est éblouissant dans le rôle de L’Homme sans âge. L’acteur britannique exprime à merveille les élans et tourments d’un personnage que Coppola filme avec un sens retrouvé de l’invention poétique. Filmant avec une caméra digitale, le cinéaste prolonge ses expérimentations de Coup de c£ur (1980) et Rusty James (1981). Il use des techniques contemporaines pour » travailler la matière même du temps, l’accélérer, le ralentir, l’arrêter, l’inverser, tout en essayant d’explorer la conscience humaine, cette conscience qui nous donne justement le sens du temps « .
Etrange, fascinant, émouvant, ce très beau film malade qu’est L’Homme sans âge questionne notre perception de la réalité avec un art libéré des exigences commerciales. » Je commence aujourd’hui la carrière que j’aurais eue si je n’avais pas fait Le Parrain ! » conclut un Coppola qui tournera son prochain film, un » drame poétique sur le thème de la compétition entre membres d’une même famille « . Mais où donc est-il allé chercher pareil sujet ?
Louis Danvers
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