secrètes épiphanies des modèles réduits

Parallèlement à la sortie de son Wagner, Jacques De Decker est également à l’honneur en tant que nouvelliste. C’est avec le soutien complice et amical de Bruno Wajskop, jeune éditeur qui ne s’est pas laissé intimider par la frilosité dont font preuve maints de ses confrères à l’égard des recueils de nouvelles, que le projet de Modèles réduits a vu le jour. L’objet livre, conçu par Wajskop, est en lui-même particulièrement séduisant : sorte de coffret magique où l’on retrouverait les secrets objets de l’enfance, qui ne demandent qu’à resurgir au gré du bruissement infime de pages délicatement feuilletées.

Malgré l’étendue chronologique de leur rédaction, qui couvre près de vingt-cinq ans, ces Modèles réduits offrent une étonnante unité de ton et d’intention. On y croise d’attachants personnages que l’aventure, grande ou petite, guette au coin de la rue et qui pénètrent dans une sorte de parenthèse du quotidien, de brèche qui troue les apparences et les conventions trop bien établies. Leur regard s’en trouve à jamais transformé, comme si une intime révolution copernicienne les avait saisis, comme si une secrète épiphanie les avait soudain introduits à une dimension jusqu’alors obturée de leur existence. C’est ce qui advient par exemple à Gaby, dans la nouvelle Evere for Ever : au terme d’une étrange flânerie, qui aurait pu inspirer un André Delvaux (celui de Benvenuta, par exemple), un léger basculement s’opère, qui la fera s’ouvrir à l’aventure d’une amitié nouvelle. De modification du regard, il est encore question dans Marinette et le bon génie, dont l’héroïne, habitant rue Esseghem à Jette, ressent d’étranges frissons sur la nuque en passant à la hauteur du n° 135. Elle ne sait pas encore qu’elle va faire la connaissance, à travers temps, d’un certain René Magritte, qui conçut quelques-uns de ses chefs-d’£uvre à cette même adresse.

Personnage à part entière de ces Modèles réduits, Bruxelles s’offre plus volontiers aux piétons, aux promeneurs, aux flâneurs et aux arpenteurs de sentiers peu battus. Amoureux de sa ville comme Léon-Paul Fargue, le  » piéton de Paris « , l’était de la sienne, Jacques De Decker en dessine les contours par touches impressionnistes. Son regard tendrement ironique saisit au vol les facettes contradictoires, embrouillées, chamboulées,  » bordéliques « , de cette étrange cité en forme de c£ur. Car cette  » capitale eurotique « , pour reprendre le titre de l’une des nouvelles, est peut-être en fin de compte le plus beau et le plus complexe des modèles réduits d’un pays qui n’a pas fini de se chercher…

Modèles réduits, Jacques De Decker, éditions La Muette, octobre 2010.

A.G.

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