Sans titre.

Sur le vélo comme en affaires, Eddy Merckx a bâti sa réussite en alliant prise de risques, sens tactique et soif de vaincre.

Au temps de sa splendeur, on l’appelait le cannibale. Il dévorait ses adversaires, goulûment, sans pitié. Hachait menu les Van Springel, Ocaña, Thévenet. Se mettait en chasse, partout, tout le temps, sous le ciel bleu de San Remo, à l’assaut du Tourmalet, entre les congères glacées des Dolomites, sur les étroits chemins des Flandres. Qu’y pouvait-il ? La faim le tenaillait. Une faim de victoires.

Puis, un jour de 1978, le cannibale a raccroché son vélo au clou. Et il est demeuré pareil à lui-même : vorace, insatiable. Avec une rage éperdue, il s’est lancé dans les affaires. Sa petite entreprise de cycles est devenue une référence.  » Je suis aussi fier de ma seconde carrière que de ma première « , répète-t-il souvent.

Les débuts, pourtant, ont été chaotiques. Eddy Merckx loge son usine dans une ancienne porcherie, à Meise, dans la périphérie de Bruxelles. Il engage son directeur sportif, Robert Lelangue, ainsi que plusieurs de ses anciens équipiers. L’affaire manque de capoter. Abusé par son comptable, Merckx est soupçonné de fraude fiscale par la justice. Il sue sang et eau pour maîtriser les alliages d’acier nécessaires à la fabrication des vélos.  » J’allais vite apprendre, car ma motivation était là, une motivation comparable à la rage de vaincre qui m’animait au départ d’une course « , raconte-t-il dans son autobiographie, Tout Eddy (1).

La gagne coule dans le sang Merckx.  » Les Olympiens disent que l’important n’est pas de gagner, mais de participer. Je n’en ai jamais cru un mot « , confie- t-il au magazine Humo, en 2005. L’homme ne lâche rien, pas même durant ses temps libres, comme lorsqu’il jouait au foot avec les vétérans d’Anderlecht, dans les années 1980.  » C’était un acharné. Il ne supportait pas de perdre, dira l’ex-footballeur Paul Van Himst, l’un de ses meilleurs amis. Quand nous jouions au tennis, je le faisais par plaisir, alors que lui, il voulait gagner, râlait sur les points litigieux, s’engueulait avec un autre de nos amis. De la folie.  »

Le commerce, Eddy Merckx est né dedans. Il a grandi dans l’épicerie de ses parents, à Woluwe-Saint-Pierre. A la fin de sa carrière sportive, prévoyant, il a acheté plusieurs appartements à Evere, qu’il a mis en location. Plus tard, il vendra des maillots frappés à son nom, prendra une participation dans un produit appelé Emerxil, destiné à échauffer les muscles avant l’effort.  » Un pharmacien avait inventé la formule et Merckx utilisa le produit quand il courait. Après, les deux hommes s’associèrent et décidèrent de le commercialiser « , relate le journaliste Joël Godaert, dans son livre Eddy Merckx, La Roue de la fortune. Le champion a aussi donné son nom à une firme fabriquant des casques.

A la tête de sa société, il a pris plus vite que d’autres le train de la mondialisation. Dès le milieu des années 1980, il se rend outre-Atlantique. Les Etats-Unis s’ouvrent au vélo, Merckx ne veut pas passer à côté d’un marché juteux. En 1989, sa marque sponsorise l’équipe professionnelle Kelme, dont le leader est le Colombien Fabio Parra. Objectif : prendre pied sur le marché sud-américain. En 2002, Eddy Merckx accompagne le Premier ministre Guy Verhofstadt lors d’une mission économique à Pékin. Dans une Chine en plein boom, qui s’apprête à accueillir les Jeux olympiques, il noue des contacts en vue d’y développer ses affaires.

En octobre 2008, Eddy Merckx revend son entreprise au fonds d’investissement Sobradis, derrière lequel se cache Joris Brantegem, l’homme qui a fait fortune en vendant des chaussures, à la tête de la chaîne Brantano. La nouvelle direction délocalise la production en Asie. Elle bâtit un nouveau quartier-général dans un zoning à Zellik, en périphérie bruxelloise. Adieu, les anciens ateliers de Meise.

Si Eddy Merckx ne joue plus de rôle opérationnel dans la gestion de l’entreprise, il reste actionnaire (moins de 10 % des parts) et conserve son rôle d’ambassadeur au service de la marque. Il demeure également impliqué dans le développement de tous les nouveaux modèles.

(1) Tout Eddy, Stéphane Thirion, Jourdan éditeur, 281 p.

FRANÇOIS BRABANT

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