Petitjean l’Africain

Si l’on en croit le Moniteur belge, l’objet social de l’ONG (organisation non gouvernementale) Delipro consiste notamment à  » concrétiser des parte- nariats tant avec des ONG du tiers-monde que des ONG belges et européennes pour aboutir à des cofinancements de projets de développement, de communication, d’éducation « . Toujours glané dans le journal officiel, l’objectif de Delipro Jeunesse serait, entre autres, d' » aider à la naturalisation des étrangers dès l’âge de 18 ans « . Quant à l’association Frères d’Espérance, elle est active dans les domaines de la protection féminine et infantile et de la coopération avec des pays africains, asiatiques et d’Amérique centrale. Charles Petitjean, ancien député fédéral et ancien bourgmestre de Pont-à-Celles, cumulait jusqu’il y a peu la présidence de ces trois organismes avec un zèle tout particulier. Un grand humaniste, ouvert sur le monde et plein d’empathie pour les populations défavorisées de la planète ? Peut-être. Mais, aux élections régionales du 13 juin, le nom de Charles Petitjean figurait en tête de liste du FN, un parti aux accents xénophobes affirmés ! Elu, il siégera désormais au Parlement wallon aux côtés de trois autres députés du Front national. Gageons qu’il y fera preuve de plus d’assiduité que ses coreligionnaires : contrairement à la plupart des élus d’extrême droite, qui se distinguent le plus souvent par leur ignorance politique et leur absentéisme dans les assemblées où ils sont censés siéger, Petitjean est bien au fait des subtilités du pouvoir et ne dédaigne pas les avantages qu’il procure.

Mais revenons-en à ses activités  » philanthropiques  » : en septembre 1967, Petitjean, âgé alors de 32 ans, inspecteur d’assurances et bourgmestre libéral de Luttre, dans le Hainaut, fonde Delipro, une ONG d' » aide au développement dans la liberté et le progrès « , avec la bénédiction de quelques personnalités libérales en vue du moment, tel le  » baron  » hennuyer Pierre Descamps. Il y est rapidement rejoint par quelques copains francophones, mais aussi flamands, appartenant, comme lui, aux Jeunesses libérales : pas vraiment de gauche, donc, mais néanmoins animés par les idées généreuses qui allaient déboucher sur Mai 68. Petitjean occupe naturellement la présidence de Delipro, qui allait rapidement bénéficier des faveurs de la formation libérale encore réunie, à l’époque, sous la bannière PLP-PVV. Deux autres organisations d’aide au développement font alors partie du giron libéral : Solidarité libérale internationale, ainsi que Coopération et progrès. Assez rapidement, cependant, il apparaît que Delipro est gérée de manière plutôt fantaisiste :  » Au milieu des années 1970, un des cadres du parti, réviseur d’entreprises de formation, s’était intéressé aux comptes de l’ONG. Il a conseillé à quelques-uns de ses amis libéraux, parmi lesquels je figurais, de se retirer au plus vite de Delipro « , se souvient un ancien membre du Conseil d’administration. Cette situation n’a cependant pas empêché l’ONG de poursuivre ses activités. Certes, depuis 1998, le parti libéral ne reconnaît plus guère officiellement que l’ONG Partenaire, dans laquelle Louis Michel a voulu fondre les trois organisations libérales d’aide au développement. Petitjean a refusé de se plier à pareille rationalisation. Au parti, il agace. D’autant plus que ses avatars politiques font de lui un homme aigri et procédurier. En 1989, il est obligé de céder le mayorat de Pont-à-Celles au socialiste Charles Dupont et, en 1991, il se voit refuser le poste de sénateur provincial tant convoité que, jure-t-il, son parti lui avait promis .

Hasard ou nécessité ? En 1998 toujours, il endosse la présidence de l’association Frères d’espérance (qu’il exerce toujours aujourd’hui), dont le siège social est établi à son domicile privé, à Luttre.  » Les bailleurs de fonds de cette ASBL se recrutent surtout dans le monde catholique, explique une ancienne collaboratrice de Petitjean. Et, en son sein, les Flamands se révèlent particulièrement généreux. Pendant plusieurs années, leurs dons ont contribué à financer certains projets élaborés par Delipro. Lesquels étaient suivis, sur le terrain, à l’étranger, avec beaucoup d’assiduité par un Petitjean faisant preuve d’un amour sans borne pour les voyages.  » Charles Petitjean a donc continué à présider Delipro jusqu’en juin 2002, date à laquelle il a envoyé sa lettre de démission aux autres administrateurs et suggéré à Herman De Croo (VLD), le président de la Chambre des représentants, de prendre sa succession. Lequel s’est bien gardé de répondre à l’invitation et a, dans la foulée, quitté l’organisation.

Détail piquant : alors que Petitjean a quitté les rangs du PRL en 2000, après une longue traversée du désert et s’être fait barrer l’accès à la vice-présidence du parti par les instances libérales, Delipro a toujours ses quartiers à la rue de Naples, à Ixelles, c’est-à-dire au siège du parti rebaptisé depuis MR… Autre constatation étonnante : depuis le départ pour le moins précipité de Petitjean, voici deux ans, on ne trouve plus aucune trace, dans le Moniteur belge, du moindre compte rendu d’assemblée générale de Delipro, pas davantage que du nom d’un éventuel nouveau président. Pourtant, 4 personnes travaillent toujours pour le compte de l’organisation, au sein d’un bâtiment situé juste en face des bureaux du MR :  » Petitjean a cru qu’en quittant le navire, parce que certains – à son bord mais aussi à l’administration de la Coopération au développement, pourvoyeuse de subsides – s’étaient permis de contester ses méthodes de travail et de gestion, Delipro allait mourir instantanément, observe Claude Fourmanoir, la trésorière de l’organisation. C’est méconnaître profondément la loi, qui impose notamment de rendre des comptes très stricts sur l’utilisation des dons et des subsides. Or Delipro a été subsidiée jusqu’en 2003 : le travail n’est donc pas terminé, mais ceux qui sont chargés de tenir la boutique le font dans des conditions matérielles et psychologiques déplorables.  »

Paternalisme

Du côté de Delipro Jeunesse, née sous les auspices de la  » maison mère  » Delipro, on se félicite du départ de Petitjean û en mars dernier, au lendemain de l’annonce de son ralliement au Front national ! – de la présidence du conseil d’administration et de son remplacement par Olivier Chastel (MR), le ministre de l’Audiovisuel, des Arts et des Lettres de la Communauté française. Dans la foulée, l’ASBL a quitté la maison qu’elle occupait û une propriété de Petitjean, également située à Luttre – pour élire un domicile politiquement plus correct.

Désormais, donc, le champ d’action d' » aide au développement  » du tout nouveau chef de groupe FN au Parlement wallon s’est considérablement rétréci. Il vient de perdre, aussi, le bénéfice de son titre de consul honoraire de Tunisie qui l’amenait notamment à être le relais entre la Belgique et ce pays pour favoriser les échanges commerciaux et faciliter l’obtention des visas aux ressortissants tunisiens ! Il sévit néanmoins toujours au sein de l’association Frères d’espérance, qui a des ramifications internationales. Où il mène, dit-on,  » une politique paternaliste, digne des missionnaires d’antan « . Quatre questions, pour terminer. Un : les cadres du FN, qui se caractérisent plutôt par leurs penchants racistes et xénophobes que par leur cosmopolitisme, voient-ils tous d’un bon £il les activités  » humanitaires  » de Petitjean ? Deux : les électeurs du FN, qui sont censés approuver un programme politique fondé sur l’exclusion, connaissent-ils les facettes  » humanistes  » de leur élu ? Trois : les généreux donateurs de Frères d’espérance sont-ils au courant de l’appartenance de  » leur  » président au Front national ? Quatre : ceux qui, aux quatre coins de la planète, bénéficient des largesses de Petitjean, savent-ils quelque chose des véritables sentiments de leur  » protecteur  » ? l

I. Ph.

Il a cru qu’en quittant le navire, l’ONG Delipro allait mourir instantanément. C’est méconnaître la loi

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