Oublié, l’hiver 60 ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

En décembre 1960 éclatait la  » grève du siècle  » contre l’austérité. Quelle trace a laissée ce conflit qui a paralysé la Wallonie pendant cinq semaines ? Une telle mobilisation est-elle encore imaginable aujourd’hui ?

Fin 2010. Plusieurs pays européens lourdement endettés s’infligent une cure d’austérité sans précédent. Face au recul de l’âge de la retraite, à la réduction des salaires et aux augmentations prévues des impôts et des taxes, les mouvements de protestation se font parfois violents…

Voilà qui rappelle, aux plus anciens, la grève générale et insurrectionnelle qui a secoué la Belgique voici exactement cinquante ans. Le pays venait de perdre sa colonie – le Congo est devenu indépendant le 30 juin 1960 – et les charbonnages, en difficulté depuis quelques années, allaient bientôt perdre les subventions de la Ceca, la Communauté européenne du charbon et de l’acier.

Le 4 novembre 1960, le Premier ministre CVP-PSC Gaston Eyskens invoque les  » dépenses provoquées par les événements africains  » pour justifier un régime d’austérité, baptisé  » loi unique « . Pour redresser le budget, le gouver-nement social-chrétien-libéral prévoit des impôts nouveaux et un relèvement des tarifs pour le chemin de fer. Il envisage aussi le recul de l’âge de la retraite (déjà !) dans les services publics et des mesures contre les  » abus  » en matière de chômage.

André Renard

Ce projet de loi va cristalliser une grogne déjà répandue parmi les travailleurs, qui voient poindre la fermeture des charbonnages, la récession et les pertes d’emplois. Le 20 décembre, André Renard, secrétaire général adjoint de la FGTB et leader des métallurgistes liégeois, décide la grève générale. Son mot d’ordre n’est suivi totalement qu’en Wallonie. En Flandre, le syndicalisme chrétien, très majoritaire, se désolidarise d’un mouvement de plus en plus incontrôlable.

Les instances syndicales, qui n’envisageaient pas d’action avant janvier, sont, en effet, largement débordées. A Liège et dans le Hainaut, les grévistes s’attaquent aux gares et aux voies ferrées, brûlent des autobus et des voitures, provoquent l’arrêt total de toute vie économique. Emeutes, saccages et sabotages inquiètent le pouvoir, qui fait appel à l’armée. Les arrestations se comptent par centaines et le travail reprend après cinq semaines de grève. Le mouvement se solde par un échec : le gouvernement Eyskens n’a rien cédé, l’austérité est votée au Parlement.

Entre-temps, la mise en évidence d’un clivage Nord-Sud a conduit Renard à donner une coloration communautaire au conflit social. La grève débouche sur une revendication d’autonomie régionale : une Wallonie dominée par le parti socialiste s’affranchirait du poids conservateur de la Flandre. Le fédéralisme est, dès lors, présenté comme un remède au déclin de l’économie wallonne. Ce projet rejoint celui de la Volksunie, le parti nationaliste flamand, également partisan du fédéralisme.

Cinquante ans plus tard, dans une Europe condamnée à la rigueur, l’histoire pourrait-elle repasser les mêmes plats ?  » Au-delà des similitudes de situation, la grève générale au finish n’est plus à l’ordre du jour, admet-on à la FGTB. Sauf surprise, la « Grande Grève » de 1960, comme on dit la « Grande Guerre », semble, elle aussi, être la « der des ders ». C’est que le pouvoir à abattre n’est plus à la portée de la main. « 

Le cinéaste Thierry Michel, auteur de Hiver 60, la fiction qu’il a réalisée voici près de trente ans (avec Philippe Léotard, Paul Louka et Christian Barbier dans les rôles principaux) et qui ressort ce mois-ci dans les cinémas, estime néanmoins que cette grève est l’un des moments clés du xxe siècle en Belgique.  » Je suis dès lors surpris qu’elle marque si peu les consciences de la jeune génération, constate-t-il. La « grève du siècle » ? Aucun de mes étudiants, à l’UCL et à l’université de Liège, ne peut la citer parmi les événements de 1960 ! André Renard ? C’est, pour eux, un grand inconnu !  »

Des soirées-débats avec projection du film Hiver 60, de Thierry Michel, sont prévues du 6 au 17 décembre, en Wallonie et à Bruxelles. Blog du film : www.hiver60.canalblog.com. Site du film : www.hiver60.be. Contact : mdcommunication@hotmail.com

OLIVIER ROGEAU

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