Opération Condor

Arrêtée le 10 janvier 1975 par les services secrets d’Augusto Pinochet, la militante socialiste fille d’un général d’aviation très proche du défunt chef de l’Etat Salvador Allende, Michelle Bachelet, est conduite à la Villa Grimaldi, centre de torture du régime… Le 15 janvier 2006, cette chirurgienne non conformiste a été brillamment élue présidente du Chili. Une belle revanche sur le passé. Mais quel passé ? Avant d’être la date d’anniversaire des attentats contre Manhattan, le 11 septembre a longtemps été celle du coup d’Etat des militaires dirigé en 1973 contre le gouvernement d’Unité populaire du président Allende. Une forfaiture qui inaugure une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’Amérique latine.

En effet de nombreux Etats du sous-continent – Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay, Uruguay – vivent, alors, sous la férule de dictatures qui, toutes, redoutent une alliance des groupes armés de gauche. Même si cette  » menace communiste  » relève du fantasme – les guérillas n’ont jamais détenu une réelle capacité militaire – les pays concernés vont fédérer leurs ressources pour tenter de l’éradiquer. Cette initiative, qui s’étendra de 1973 à 1980, prendra le nom d’opération Condor. Concrètement, cet authentique terrorisme d’Etat à pour but la livraison mutuelle d’opposants politiques, des échanges de méthodes d’interrogatoire et des campagnes communes de liquidation de militants de gauche – y compris aux Etats-Unis et en Europe -, lesquelles ne visent pas seulement des partisans de la lutte armée, mais aussi des démocrates non violents.

Ceux qui étaient déjà éveillés à la conscience politique se souviennent de ces années de plomb. Pour prendre conscience de ce qu’a représenté Condor et, partant, de l’importance symbolique de l’élection de Michelle Bachelet, les plus jeunes que la chose intéresse pourront se reporter à l’enquête de John Dinges. Ce professeur à l’université Columbia (New York) couvrait à l’époque les  » sales guerres  » latino-américaines pour le Washington Post, Time et plusieurs autres journaux. Ayant par la suite pu recueillir 200 témoignages – dont ceux de hauts fonctionnaires américains – dont il a recoupé les affirmations à l’aide de multiples documents secrets mais déclassifiés depuis peu, Dinges a pu retracer l’histoire de Condor. En particulier, le rôle trouble qu’y ont joué les Etats-Unis.

Même si certains pans de cet épisode tragique demeurent ensevelis, Dinges soutient, pour sa part, preuves à l’appui, que Washington était parfaitement informé de l’initiative des despotes du Cône sud.  » Nous l’avons parfois accompagnée, écrit-il, et nous en avons récolté de nombreux bénéfices : dans l’administration US, les rapports sur les activités de l’alliance Condor, outils précieux pour la politique étrangère, l’armée et le contre-espionnage, jouissaient d’un niveau de priorité très élevé et du code de cryptage le plus sécurisé…  » A l’heure où l’obsession du terrorisme international conduit les Etats à une autre forme d’entraide masquée, délétère pour nos démocraties, le précédent de l’opération Condor résonne comme une mise en garde. l

Les Années Condor : Comment Pinochet et ses alliés ont propagé le terrorisme sur trois continents , éd. La Découverte, 299 pages.

Jean Sloover

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