« Ne pas plomber l’avenir de nos enfants »

Robert Deschamps, économiste aux Facultés universitaires de Namur, tire la sonnette d’alarme : une nouvelle augmentation de la dette publique serait désastreuse pour les générations futures.

Le Vif/L’Express : La crise économique explique-t-elle, à elle seule, les difficultés budgétaires de la Bel-gique ?

> Robert Deschamps : La cause tient en grande partie dans la récession. Mais je persiste à dire qu’il existe des problèmes structurels dans les finances publiques à Bruxelles, en Wallonie et en Communauté française. Il y a un an, j’indiquais déjà que, si on ne modifiait aucun paramètre, la Communauté française ne disposerait plus d’aucune marge budgétaire en 2011 et que la Wallonie ne disposerait plus des moyens suffisants pour prolonger le plan Marshall en 2010.

Voulez-vous dire que, ces dernières années, les gouvernements wallon et bruxellois ont fait preuve d’aveuglement ?

>A eux de répondre. La Région wallonne vient de supprimer la radio-auto-redevance. Cela signifie qu’on renonce d’office à 70 millions d’euros. Une fameuse somme ! L’ensemble des dépenses de la Communauté française en matière de recherche s’élèvent à 95 millions d’euros. Des décisions pareilles plaisent peut-être aux automobilistes, mais elles aggravent la situation. La responsabilité est collective. Les difficultés budgétaires actuelles découlent d’un choix que nous avons tous fait. Nous, les hommes politiques. Nous, les électeurs qui les avons élus.

Comment sortir de ces difficultés ?

>Par des arbitrages douloureux. Il n’y a malheureusement pas d’autres alternatives.

Serait-ce dramatique de laisser filer les déficits publics pendant quelques années ?

>Cela reviendrait à financer nos dépenses en les faisant payer par nos enfants. S’endetter, ce n’est que ça : laisser à d’autres le soin de payer, plus tard. Dans les années 1970, on a laissé filer les déficits. Résultat : on n’a toujours pas réussi à ramener notre dette à un niveau raisonnable. En Europe, seules la Grèce et l’Italie sont davantage endettées que la Belgique.

L’économiste Paul De Grauwe (KULeuven) soutient pourtant qu’une augmentation des déficits ne serait pas si dramatique que ça.

>La situation de la Flandre est différente. Depuis 1994, la Flandre a réduit sa dette. Sans la crise, elle serait arrivée début 2009 à une dette égale à zéro.

Certains affirment que, pour réduire les effets de la crise et assurer la relance de l’économie, un  » coup de pouce  » des finances publiques est nécessaire…

>Si c’est simplement pour ne pas devoir changer nos habitudes, je trouve ce raisonnement scandaleux. J’entends que Michel Daerden, ministre du Budget, veut supprimer la télé redevance. Qui paiera la note ? Les générations futures, une fois de plus. On leur laissera déjà le coût du vieillissement de la population, le dérèglement climatique, les pénuries d’énergie bon marché. Il ne faut pas, en plus, leur laisser d’énormes dettes à payer, et plomber ainsi leur avenir.

Vous êtes totalement opposé à une augmentation des déficits ?

>Absolument pas. Mais ça dépend pour quoi faire. Si c’est pour financer des moyens efficaces de lutter contre le dérèglement climatique, pourquoi pas ?

Les difficultés budgétaires ébranlent encore un peu plus l’édifice du fédéralisme belge. La situation est-elle explosive ?

>Le déficit de la Belgique correspond à la somme du déficit fédéral et du déficit de chaque Région et Communauté. Si l’un dérape, c’est l’ensemble qui dérape. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on n’a pas réussi à s’accorder sur les éléments de base d’une réforme de l’Etat, voici deux ans. On va donc devoir réaliser cette réforme de l’Etat maintenant, alors que le contexte est très difficile. Cela exigera encore plus de sang-froid de la part des hommes politiques.

ENTRETIEN : FRANÇOIS BRABANT

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