Les silhouettes spectrales de Matthys se découpent sur fond de fusain et de sang de bœuf. Un appel au secours? © DR

Muganga

Le Vif

En février 2015, Michaël Matthys (Charleroi, 1972) levait le voile sur un projet fascinant: l’adaptation du roman de Joseph Conrad Au cœur des ténèbres. Pour ce faire, il présentait cinq grands formats et 35 dessins préparatoires dans le cadre d’Eté 78, un espace d’exposition imaginé par un couple de collectionneurs soucieux de faciliter la création. Face à ce travail, un frisson nous avait parcouru, un pressentiment peut-être, celui de l’existence d’«un continent plus ténébreux, plus aguicheur et décevant que l’Afrique» dans lequel le peintre se révélerait un individu «plus avide de se perdre que l’explorateur» selon les formules de l’écrivain Pierre Michon.

Huit années plus tard, l’inquiétant scénario semble se confirmer. S’il livre sporadiquement des nouvelles de ses avancées, Matthys semble perdre pied dans ce projet aux allures de sables mouvants. Nuits sombres, titre original d’un roman graphique à venir, n’a toujours pas vu le jour, alors qu’il ne cesse de hanter les fusains de l’auteur de Moloch. Il convient de rappeler ici les mots de Joseph Conrad lui-même lorsqu’il serpentait les méandres du fleuve Congo à bord d’un bateau. Devant ces paysages de commencement du monde, l’homme eut ces mots effrayants: «Cette immobilité de la vie ne ressemblait nullement à une paix. C’était l’immobilité d’une force implacable appesantie sur une intention inscrutable. Nous pénétrions de plus en plus au cœur des ténèbres.» Tout comme Kurtz, le personnage «ensauvagé» du roman, il existe bel et bien un risque de ne jamais revenir d’une telle aventure, qu’elle soit réelle ou fictive. C’est en quelque sorte pour prendre le pouls de l’artiste qu’il convient de découvrir ce nouvel accrochage ponctué de silhouettes spectrales se découpant sur fond de fusain et de sang de bœuf dont les contours de tableaux à part entière sapent inconsciemment toute tentative de narration. Il est logé dans le grand espace (Particolare) qui jouxte la galerie Cerami. En kinyarwanda, muganga signifie guérisseur, médecin. Faut-il y voir un appel au secours?

A la galerie Jacques Cerami, à Charleroi, du 11 février au 18 mars.

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