Medvedev fait sa mini-révolution

Après deux années de règne en demi-teinte, le président multiplie les gestes en faveur d’une Russie plus moderne, plus démocratique. Et si, en 2010, il sortait vraiment de l’ombre de Poutine ? Pas impossible …

de notre envoyé spécial

On peut juger l’épisode anodin. Mais certains  » kremlinologues  » avertis croient déjà y déceler les prémices d’une nouvelle perestroïkaà avec Dmitri Medvedev dans le rôle du Gorbatchev du xxie siècle. L’affaire remonte au 1er février dernier. Ce soir-là, le président du Sénat russe, Sergueï Mironov, crée la surprise en prime time. A la télévision, il dénonce le budget anticrise du Premier ministre Vladimir Poutine. Devant leurs écrans, de nombreux Russes, peu habitués à entendre la moindre critique à l’égard de l’homme fort de leur pays, sont légèrement interloqués.

Deux jours avant ce coup d’éclat, déjà, ces mêmes téléspectateurs avaient eu la surprise de découvrir les images d’un cortège de 10 000 manifestants protestant contre la hausse des prix, dans l’enclave de Kaliningrad. Sur leurs pancartes, on pouvait lire :  » Gouvernement, démission !  » Et cela, sans que la police intervienne pour les confisquer, comme elle en reçoit généralement la consigne.

Selon le quotidien Vedomosti,  » la manifestation de Kaliningrad et les déclarations de Mironov sont des événements inhabituels dans le système politique russe « . Le politologue pro-Kremlin Sergueï Markov y voit un effet de la volonté de modernisation affichée par Dmitri Medvedev depuis son élection, en mars 2008 (lire Le Vif/L’Express du 15 janvier).

De fait, ces derniers temps, le président russe est parvenu à donner un peu de substance à son discours d’homme libéral, désireux d’introduire une dose de démocratie dans la vie politique. Au printemps dernier, par exemple, il avait surpris son monde en accordant une interview au journal d’opposition Novaïa Gazeta.  » Le président voulait montrer son attachement à la liberté d’expression après l’assassinat, le 19 janvier 2009, de la journaliste Anastasia Babourova « , décrypte, au Kremlin, Natalia Timakova, sa porte-parole.

Plus récemment, après la mort en prison, le 16 novembre dernier, de l’avocat d’affaires Sergueï Magnitsky, Dmitri Medvedev, visiblement consterné par ce décès au retentissement international, a promis de refonder le système judiciaire et carcéral, ainsi que la police – autant d’institutions héritées de l’époque soviétique et au c£ur de scandales à répétition. Medvedev veut également supprimer la détention préventive dans le cadre des enquêtes pour délits économiques. Une proposition qui concerne à ce jour 300 000 personnes.

Ce n’est pas tout : en janvier, il limoge le chef de la police de la région de Tomsk (Sibérie), à la suite du décès d’un journaliste violemment battu par des policiers. Une initiative présidentielle inimaginable sous le règne de Poutine. Enfin, voilà quelques jours, ce sont des experts du centre d’analyse moscovite Insor, proche de Dmitri Medvedev, qui publient un rapport préconisant une démocratisation profonde de la Russie età in fine, son intégration à l’Union européenne !

 » Distraire les journalistes et l’opinion publique « 

Après les années Poutine et sa fameuse  » verticale du pouvoir  » (une conception quasi militaire de l’organisation de l’exécutif), Dmitri Medvedev serait-il en train de dessiner, par petites touches, le visage d’une Russie plus démocratique ? Pas si vite, à en croire les sarcasmes suscités à Moscou par cette hypothèse.  » La rivalité entre l’ « ancien » Poutine et le « moderne » Medvedev est une fable inventée par les intéressés afin de distraire les journalistes et l’opinion publique, estime Lilia Chevtsova, du centre d’analyse de Carnegie Endowment. Pendant qu’on ergote sur cette prétendue querelle, l’on n’aborde pas les sujets qui fâchent, comme la récession économique, la chute des investissements étrangers, le climat social marqué par la peur, la violence policière, les problèmes au Caucase, la paix fragile avec la Géorgie, etc. « 

L’analyste Alexandre Golz n’est pas davantage convaincu par le discours à la nation prononcé par Dmitri Medvedev, le 12 novembre dernier. Le président s’y faisait le chantre d’une modernisation  » de fond en comble  » de la Russie, dont l’économie,  » gangrenée par la corruption  » et  » dépendante des matières premières « , porte, selon lui, l’empreinte d’une arriération soviétique.  » Les discours de Medvedev me font penser à ceux de Poutine ou même de Brejnev, ironise Golz. Pris au pied de la lettre, ils constituent d’authentiques fêtes de la pensée libérale. Dans la pratique, en revanche, je ne vois rien qui confirme l’ambition moderniste affichée par le chef de l’Etat. « 

Pourtant, lentement, la crise économique fait bouger les lignes. Après des années de croissance, le produit intérieur brut a connu une dégringolade vertigineuse : – 8 % en 2009, alors qu’il affichait + 6 % l’année précédente. Pour les libéraux de l’entourage de Medvedev, le système des  » corporations d’Etat « , mis en place sous Poutine, est à bout de souffle. Surtout, les dirigeants issus des services de renseignement placés à la tête de mégastructures chapeautant des secteurs entiers (aéronautique, automobile, etc.) ont prouvé leur incompétence.

 » Tout ce que je dis reste gravé dans le marbre « 

Ce diagnostic s’est traduit, voilà quelques semaines, par une grosse colère de Medvedev devant un grand patron. Lors d’une réunion consacrée à la modernisation de l’économie, le président s’en prend à Sergueï Chemezov, un proche de Vladimir Poutine qui dirige le conglomérat public Rostekhnologuii. A ce dernier qui lui présente la fabrication d’ampoules à diodes électroluminescentes comme une innovation technologique, le président réplique sèchement :  » Ces ampoules, c’est bien que nous nous mettions à les produire. Nous devons le faire, car nous avons renoncé aux lampes incandescentes. Mais ce ne sont pas des innovations !  » Le dirigeant du conglomérat tente de se défendre :  » Je voudrais apporter des explications à votre réplique.  » Réponse de Medvedev :  » Ce n’est pas la peine ! Ceci n’est pas une réplique, mais un verdict. C’est vous qui formulez des répliques. Tout ce que je dis reste gravé dans le marbre.  » Ambiance.

Selon Zoïa Svetova, journaliste au quotidien New Times,  » ce qui caractérise l’époque n’est pas la modernisation mais la stagnation « . Elle poursuit :  » En dehors de quelques espaces de liberté sur Internet, on se croirait revenu au temps de Brejnev, quand tout était figé.  » Ce n’est pas tout à fait exact : ces dernières semaines, des évolutions, infinitésimales mais pas insignifiantes, se font jour. Peu à peu, Medvedev place des hommes à lui, notamment dans le système judiciaire. Ces derniers temps, il multiplie aussi les nominations de gouverneurs et de présidents de région comme à Krasnoïarsk (Sibérie), au Tatarstan ou encore dans la région autonome de Khanty-Mansiisk (Sibérie), où, grande première, une femme vient d’être promue.

Dans la région de Kirov (Sibérie), Nikita Belykh, 35 ans, a pris ses fonctions voilà déjà un peu plus d’un an. Signe particulier : ancien membre de l’opposition, cet homme d’affaires a la réputation d’être un gestionnaire intègre. Dans le Caucase du Nord, le président russe a nommé un représentant plénipotentiaire, Alexandre Khloponine. Lequel, chose insolite en ces latitudes, n’est pas un militaire ou un membre des services secrets mais un homme d’affaires réputé, chargé en premier lieu d’améliorer la situation économique de la région. En 2010, sur 84 gouverneurs, une trentaine dont les mandats expirent en décembre pourraient être remplacés.

Le double langage d’un pouvoir monolithique

En réalité, le temps jouerait en faveur de Dmitri Medvedev. Telle est la conviction de Dmitri Orechkine, politologue et géographe.  » Avec la crise, les élites réalisent que la méthode Poutine aboutit à une impasse. Or plus le temps s’écoule, plus le blocage de la société devient évident. D’ici à la fin de l’année, tout le monde aura compris que le problème, c’est Poutine. « 

Reste à savoir si le discret Medvedev s’émancipera du mentor auquel il doit sa carrière.  » Poutine lui-même a mis trois ans à devenir président, pointe l’analyste Stanislav Belkovski. Au départ, il passait pour un personnage terne, incapable de se débarrasser des eltsiniens, incrustés dans les arcanes du pouvoir.  » Un schéma comparable se répète aujourd’hui : après deux ans de règne en demi-teinte, Medvedev se présidentialise. Et cela de façon presque mécanique. En Russie, en effet, ce n’est pas la personnalité du président qui le légitime dans sa fonction, mais la fonction elle-même. Car le système institutionnel russe est fondamentalement présidentiel. D’ailleurs, malgré son poids symbolique et réel, Vladimir Poutine ne conteste nullement les prérogatives de Medvedev. Par un processus lent, dans lequel les entourages et les puissances économiques constituent des rouages essentiels, ce dernier assoit peu à peu sa légitimité.

L’année 2010 sera-t-elle l’année, pour le président russe, de l’affirmation de soi ?  » Ce serait se tromper de croire que les deux hommes poursuivent des objectifs différents, reprend Belkovski. La préoccupation essentielle de la totalité des membres de la classe dirigeante est de consolider leurs positions afin de perpétuer leurs privilèges.  » Medvedev ou Poutine, les deux faces du sommet expriment sans doute des nuances mais surtout le double langage d’un pouvoir monolithique.

A.G., AVEC ALLA CHEVELKINA

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