MAO, LA LUNE VERTE ET LE BELGE

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Mao avait beau dire, le piment rouge n’est pas l’aliment par excellence des révolutionnaires. Car tout révolté qu’il fut par nature, Paul Van Hoeydonck, attablé seul à la terrasse, devait admettre que ledit piment rouge qu’il venait d’avaler lui avait salement endiablé le gosier, qu’il lui avait flanqué deux gifles en pleine glotte, et qu’il lui faisait à présent grincer les larmes aux yeux, façon cystite oculaire. Brûlante, intermittente et douloureuse. Très.

Cette affaire de piment dictatorial le déprima et l’indigna tout à la fois. Paul n’était pas venu ici pour que ce soit Hiroshima sans mon amour dans sa gorge. Il était venu là, pour voir la lune ; lune, qui, d’après les réseaux sociaux, allait être verte ce soir-là (1). Paul n’y croyait pas franchement à la verdure de menthe froissée autour des mollets de la lune, mais il n’était plus à une extravagance près.

En tout état de cause, il s’en voulait terriblement d’avoir écouté les conseils culinaires du serveur et se demandait, tout en repoussant son assiette rugissante, s’il n’aurait pas mieux fait de choisir, au lieu des  » Piments de Mao « ,  » Les délices petits martyrs  » de Salvador Dali (2). En soupirant, Paul ferma son clapet au menu et leva les yeux au ciel, tout en sortant d’un étui usé une lunette astronomique qui l’était tout autant, usée.

C’est un homme particulier, Paul Van Hoeydonck. Crépusculaire. Maigre. Tout en tendons et en ossements saillants. Drapé dans son pardessus en alpaga, on ne remarque pas d’emblée son costume surnaturel : une rigide combinaison en contreplaqué blanc, des coudières en pédales de vélo, des jambières en osier tressé. Paul a posé sur la table une espèce de casque de cosmonaute en cloche à fromage, équipé d’une lampe torche, en guise d’éclairage d’appoint. C’est très moche.

Et puis, subitement, voilà que sa figure tout usée, sa figure en papier kraft, sa figure toute en plissures, s’offre un sublime lifting céleste : malgré l’absence de la verdeur lunaire annoncée, voilà que Paul a retrouvé l’espièglerie chocolatée des petits enfants, la béatitude chancelante des amoureux, la roseur délicatement framboisée des aubes campagnardes. Comme d’un fait exprès, à cet instant précis, une bourrasque de vent frais fait se trousser les nappes dans un grand ronflement allègre.

– Mon dieu ! hurle subitement Paul, à la limite de l’extase.  » Venez voir ! Venez tous la voir !  » Et, alors que, l’un après l’autre, timidement d’abord, puis avec un enthousiasme plus appuyé, chacun et chacune vient porter à son oeil la vieille lunette, une silhouette incroyable apparaît dans le viseur. Ni vraiment femme, ni franchement homme. Un humain métallique avec un machin brillant au niveau du coeur : un diamant.

Mais, depuis quand il y a une statue sur la lune ? !

– Oh, répond Paul, en bombant le torse, depuis qu’Apollo 15 l’y a déposée (3). Et depuis que je l’ai façonnée. Ça va faire quarante-cinq ans.

Mais c’est pas tout ça. L’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait quand même pas de louper le film qui va démarrer sur La Une à 20 h 15 !

(1) Une rumeur (partagée plus de 38 000 fois sur les réseaux sociaux) fait état d’une « lune verte « , prévue fin mai. Les lois de la physique interdisent à la lune de devenir verte. Qu’on se le dise.

(2)  » A 6 ans, je voulais être cuisinière », écrivait Dali qui, à 68 ans, finit par écrire un livre de recettes Les Dîners de Gala.

(3) Le 1er août 1971, la statuette en aluminium Fallen Astronaut créée par l’artiste belge Paul Van Hoeydonck fut déposée sur la lune, par l’équipage d’Apollo 15.

Rosanne Mathot

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