Joseph Ndwaniye
Les pépites de librairie à Matonge (chronique)
Le Volle gas, place Fernand Cocq, à Ixelles. Rendez-vous avec un vieil ami de trente ans. Début 1990, nous y avons vécu. Lui rue de la Tulipe, moi rue du Conseil. Que de changements depuis! La place a été rénovée, verdurisée, la chaussée d’Ixelles partiellement rendue aux piétons. Ma friterie, celle de mon ami Hassan, a laissé place à un magasin de glace artisanale. En face, L’Amour fou, le restaurant dont je garde en mémoire le fameux «bolo», est, lui, toujours en place.
L’ami est en retard. J’en profite pour signer une pétition présentée sur Facebook contre une proposition gouvernementale d’augmenter la TVA sur les livres (de 6% à 9%). Cela m’inspire. Lorsqu’il arrive, je lui propose une visite à la sympathique librairie Pépite blues, située rue Anoul, pas très loin. En avril 2019, la fondatrice et libraire a fait le pari osé de mettre en avant les afro-littératures, c’est-à-dire les livres d’auteurs d’origine africaine, qu’ils résident en Afrique, dans les Caraïbes ou qu’ils fassent partie de la diaspora dispersée sur tous les continents. Dans les librairies classiques, ceux-ci sont souvent relégués dans un coin, au rayon «Afrique». Outre la vente de livres, l’endroit propose des rencontres entre écrivains et lecteurs, des expositions, des ateliers…
La fondatrice et libraire a fait le pari osé de mettre en avant les afro-littératures.
L’idée est de faire dialoguer littérature et autres formes artistiques dans toutes leurs diversités. Un lourd défi de s’implanter à l’endroit même où se trouvait la librairie La Borgne Agasse, fondée par Jean-Pierre Canon, dont les domaines de prédilection étaient la littérature prolétarienne, l’anarchisme, le monde des Tsiganes. En chemin, rue de la Tulipe, nous marquons une pause devant le Sounds Jazz Club dont il m’assure que l’ambiance est toujours aussi bon enfant. En passant, au bout de la rue, devant la vitrine d’un bouquiniste spécialisé en littérature japonaise pour adultes, j’ai repéré le roman Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka (Phébus, 2012) et l’ai recommandé à mon ami. Un autre bouquiniste, spécialisé en littérature anglaise, s’est installé en face.
A peine la porte de Pépite blues franchie, nous sommes accueillis par un petit bout de femme pétillante, la fondatrice dont tout le bonheur est de partager sa passion des livres. La librairie est lumineuse et ce ne sont pas les livres à la couverture blanc mat, jaune ou bleue des grandes maisons d’édition françaises qui dominent les rayons. On y découvre d’autres éditeurs, des livres d’aussi grande qualité aux couvertures souvent plus chatoyantes.
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Nous sommes dans le quartier Matonge, en pleine mutation. Le côté exotique de ses épiceries et salons de beauté africains cède de plus en plus à l’appel des sirènes des investisseurs qui font flamber les prix de l’immobilier, tels ceux des biens sis rue de la Paix où j’ai aussi eu le plaisir de fréquenter une autre bouquinerie. Elle était située juste à gauche de l’église Saint-Boniface. Nous apprenons qu’elle vient malheureusement de fermer définitivement. Mais Matonge s’est enrichi de deux librairies situées sur la chaussée de Wavre, à deux pas du quartier européen, qui regorgent de livres rédigés en diverses langues parlées en Europe. La première, Librebook (littérature pour adultes), existe déjà depuis quelques années tandis que la deuxième, Bimbi Books, s’est installée il y a deux mois seulement grâce au dispositif intitulé «local test shop» qui accueille des porteurs de projets commerciaux durables en économie circulaire. J’ai même découvert l’existence d’une monnaie locale, la zinne... Pépites de Matonge.
Joseph Ndwaniye est infirmier et écrivain.
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