Les frissons de la petite sirène

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le protocole de Kyoto, donné pour mort en 2012, devrait avoir une descendance. L’accord en jeu à Copenhague, en décembre, est censé fixer de nouveaux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique. Mais tous les pays ne s’y rendent pas avec le même enthousiasme…

Un conseil des ministres à six mètres sous le niveau de la mer, ça pourrait être drôle. Ça ne l’est pas du tout. Si le gouvernement des Maldives s’est réuni sous l’eau, c’est pour attirer l’attention de la communauté internationale sur son triste sort : à supposer que le niveau des océans augmente d’un petit mètre, ce qui est inévitable avec le réchauffement climatique en cours actuellement, 80 % du territoire de cet archipel de l’océan Indien seront recouverts par les eaux. Autant s’entraîner, donc…

Les 20 000 experts en tout genre et responsables politiques qui se retrouveront au sommet de Copenhague, du 8 au 17 décembre prochain, seraient bien inspirés de garder cette image en mémoire. Durant cette froide semaine où tous les regards convergeront vers la capitale danoise, ils tenteront de rédiger ensemble un nouvel accord international censé assurer un relais au protocole de Kyoto, en bout de course. Les 190 pays représentés ne devraient avoir qu’une obsession : orchestrer au niveau mondial, et de toute urgence, la lutte contre le réchauffement climatique. En fait d’obsession, elle semble très relative. Chaque pays, rivé à des défis politiques et économiques propres, ne pense pas forcément à jouer collectif. Les deux plus importants émetteurs de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique, que sont les Etats-Unis et la Chine, ne se bousculent pas pour diriger les opérations au niveau mondial. Ni pour donner l’exemple. Du coup, l’ombre de l’échec plane déjà sur Copenhague.

 » Le sort de ce sommet se jouera dans les deux dernières heures de la nuit qui suivra la dernière journée officielle de la réunion, parie le climatologue Jean-Pascal van Ypersele, également vice-président du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), et habitué aux nuits blanches de fin de négociations. Tout ce qui se dit maintenant relève souvent de man£uvres de positionnement d’acteurs qui souhaitent orienter les discussions dans leur intérêt  » (lire aussi l’entretien en page 8). Un intérêt à très court terme, alors. Car le réchauffement climatique se fiche des frontières.

Le protocole de Kyoto a pris la poussière

1997. Le protocole de Kyoto, ratifié par quelque 180 pays, parmi lesquels les Etats-Unis ne figurent pas, prévoit une première vague de 5,2 % de réduction des émissions de CO2 d’ici à 2012, dans 37 pays industrialisés concernés au premier chef. L’objectif fixé pour l’Union européenne était de 8 % et celui de la Belgique, de 7,5 %. Très vite, ces objectifs se révèlent insuffisants si l’on veut limiter la hausse de température de la planète à 2 degrés Celsius, par rapport à l’ère préindustrielle. Deux degrés, ça n’a l’air de rien, mais c’est assez pour modifier en profondeur les équilibres de la terre : augmentation des vagues de chaleur, des précipitations et des inondations, élévation du niveau de la mer, exil forcé de millions de réfugiés climatiques, conséquences en termes de santé, de mortalité et de biodiversité, etc. Le tableau est sombre.

Or, depuis la signature du protocole de Kyoto, les émissions globales de CO2 n’ont pas diminué. Pour l’ensemble des pays industrialisés, elles ont augmenté de 3 % entre 2000 et 2007. En revanche, certains élèves consciencieux ont accompli leur devoir, voire même fait mieux qu’attendu. L’Union européenne, bonne élève de la classe, respecte ses engagements. Et la Belgique, qui devait réduire ses émissions de 7,5 % avant 2012, affichait déjà un résultat de – 8,3 % en 2007.  » La Belgique a une position assez progressiste, avance An Lambrechts, responsable de campagne chez Greenpeace. C’est l’un des seuls Etats membres de l’Union européenne qui pourrait réduire ses émissions de CO2 de 30 % d’ici à 2020. Mais cet effort est conditionné à ceux qu’engageront les autres pays. « 

Le protocole de Kyoto expirera à la fin de 2012 et on sait qu’il faut compter deux à trois ans pour que pareille convention soit ratifiée dans un nombre suffisant de pays pour entrer en vigueur. Il n’y a donc plus de temps à perdre. D’autant que les experts du Giec ont entre-temps tiré une nouvelle fois la sonnette d’alarme, et plus fort que d’habitude. La planète se réchauffe plus vite que prévu et les signes de cette évolution sont de plus en plus perceptibles : selon certains rapports scientifiques, la température pourrait s’élever de 7 degrés Celsius d’ici à la fin du siècle, alors que l’on évoquait encore une hausse maximale de 4 degrés en 2007.

Depuis 1997, une autre donnée a changé : des pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil, pays en développement auxquels les objectifs de Kyoto ne s’appliquaient pas, ont connu un développement économique sans précédent, alimentant du coup à qui mieux mieux l’atmosphère en gaz à effet de serre. Voilà pour les constats.

Des travaux d’Hercule

A Copenhague, la première étape à franchir sera donc celle-là : fixer de nouveaux objectifs de réduction des émissions de CO2 pour les pays industrialisés et pour les pays en développement. Pour limiter l’augmentation de la température à 2 degrés, affirme le Giec, il faudrait, au minimum, que ces émissions reculent de 25 à 40 % d’ici à 2020, et de 50 à 85 % d’ici à 2050 dans les pays industrialisés. L’Union européenne, en pointe dans ce dossier, est prête à viser un seuil de – 30 % d’ici à 2020 et de – 80 à – 95 % d’ici à 2050, en cas d’accord international.  » Les Etats membres ont peur de perdre leur compétitivité par rapport aux Etats-Unis si ceux-ci ne font rien « , détaille An Lambrechts.

Mais ce n’est pas si simple : s’agira-t-il simplement de copier-coller le contenu du protocole de Kyoto, ce qui permettrait à la Chine et aux Etats-Unis d’échapper à tout cadre contraignant, quitte à faire des progrès de leur propre initiative ? Ou, au contraire, le sommet accouchera-t-il d’un texte tout neuf, applicable à tous avec des modalités particulières ? L’accord courra-t-il jusqu’en 2017 ? Jusqu’en 2020 ? Faut-il accepter de se donner un délai supplémentaire, d’un an par exemple, dans l’espoir d’aboutir à un accord crédible un peu plus tard ? Ou conclure une convention entre les seuls pays prêts à prendre la tête du peloton ? Toutes les questions sont ouvertes et le resteront sans doute jusqu’à la dernière minute.

Coup de pouce aux pays en développement

L’accord de Copenhague, s’il voit le jour, ne pourra en tout cas pas faire l’économie d’un accompagnement des pays en développement dans leur lutte contre les effets du réchauffement climatique et dans la reconversion de leur économie en une économie plus propre. Ces Etats, peu polluants, sont les premiers à souffrir d’un réchauffement auquel ils n’ont pratiquement pas contribué et manquent, en outre, de moyens financiers et technologiques pour s’en protéger. Certains d’entre eux progressent néanmoins, hors de tout cadre international contraignant, sur la voie d’une économie plus verte.  » Les Chinois et les Indiens prennent des initiatives très concrètes pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, en investissant dans les énergies renouvelables ou en luttant contre la déforestation « , assure Elisabeth Ellegard, experte auprès du cabinet du ministre de l’Energie et du Climat, Paul Magnette (PS).

Pour soutenir ces pays-là, point de mystère : il faut des sous. Combien ? Qui paiera ? Quand et comment ? Là aussi, les Etats les plus riches se regardent en chiens de faïence en se demandant qui fera le premier pas. Les ministres européens des Finances ne sont déjà pas parvenus à s’entendre sur le contenu de cette enveloppe financière et ont refilé le dossier aux chefs d’Etat et de gouvernement, qui devaient en discuter lors de leur rencontre des 29 et 30 octobre. La Commission européenne a chiffré l’aide mondiale nécessaire à 100 milliards d’euros par an, dont une part de 2 à 15 milliards à charge de l’Union européenne. Dans le meilleur des cas, cette aide devrait s’ajouter au financement de la coopération au développement et non pas le remplacer…

Les Européens ne sont pas davantage tombés d’accord sur le sort à réserver aux crédits d’émission de CO2 attribués aux pays de l’Est européen et restés inutilisés en raison du ralentissement économique provoqué par la crise. Ces Etats, parmi lesquels figurent la Hongrie et la Pologne, souhaitent les conserver pour les revendre plus tard avec une confortable plus-value. Une suggestion jugée inenvisageable par les autres Etats membres : accepter ces crédits dans le circuit reviendrait à donner un nouveau feu vert à des émissions de gaz à effet de serre alors qu’il est urgent de faire le contraire, disent-ils.

On le voit : le sommet de Copenhague ne manquera pas de piments. Ni de suspense. Ni de retournements de veste, sans doute. Mais il faudra que quelque chose s’y passe. Un signal sans ambiguïté qui amène une nouvelle façon de penser l’habitat, l’alimentation, les déplacements, la consommation. La vie sur la terre, en un mot, sans les énergies fossiles, le pétrole, le gaz, le charbon.  » Je suis désormais très inquiet quant aux chances de réussite de ce sommet, a lâché José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. Si nous n’y mettons pas d’ordre, le projet de texte actuellement sur la table risque de devenir la lettre de suicide collectif la plus longue de l’histoire. « 

 » Les Russes pourraient faire tout capoter la dernière nuit « , redoute une experte proche du gouvernement belge. Ou les Japonais. On ne sait jamais…  » ça pourrait être drôle. ça ne l’est pas du tout.

Laurence van Ruymbeke

L’ombre de l’échec plane déjà sur Copenhague

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