Les Belges

Avec nos voisins, c’est facile, même si c’est caricatural. Le Français ? Baguette et litron. Le Britannique ? Thé et chocolat menthe. L’Allemand ? Bratwurst et bière… Au Belge, en revanche, il est plus délicat d’attribuer une spécificité, même culinaire. Bien sûr, il y a la frite. Mais, outre le fait qu’elle est probablement d’origine française, elle a perdu beaucoup de sa dorure nationale depuis que les chaînes de fast-food en ont fait l’un des standards de la malbouffe planétaire. Encore raté ? Pas sûr… Car il en a bien une, d’originalité, le Belge : celle d’être un heureux cumulard, qui pratique en fin connaisseur la gastronomie et les vins de l’Hexagone, n’échange jamais un vrai  » noir de noir  » contre un chocolat d’importation, et savoure avec la même soif toutes les subtilités houblonnières, brunes ou blondes…

Le constat dépasse évidemment l’estomac. Politique, littérature, sciences, peinture, musique : quelle que soit la spécialité, oui, le Belge est un métis. Qu’il crée et invente, ou qu’il s’inspire et importe, il se nourrit tout à la fois de cette rigueur que l’on dit germanique et de cette passion que l’on sait latine. Question d’habitude. Au c£ur de l’Europe, continent aussi riche de son passé qu’incertain de son avenir, nos  » chers compatriotes  » ont appris à vivre au gré des hasards de l’histoire. D’ailleurs, il sait, le Belge, tout au fond de lui, que la naissance de son Etat doit bien davantage aux puissances de 1830 qu’à l’irrépressible émergence d’une nation viscérale. Même sa révolution fut tristounette en comparaison des vraies barricades…

Alors, les Belges, mythe ou réalité ? Les patriotes se rassurent avec des phrases un peu courtes – comme celle de ce Jules qui, après nous avoir envahis, nous trouva finalement fort  » braves « . Les autres, en revanche, prêtent des vertus à un fédéralisme de plus en plus centrifuge, qu’annonçait déjà en 1912 un autre Jules (Destrée) avec son célèbre :  » Sire, il n’y a pas de Belges.  » De fait, aujourd’hui et plus que jamais, le peuple belge en compte au moins deux, sans parler des Bruxellois hybrides, des germanophones  » rattachés  » et des immigrés devenus « allochtones. »

Ceci explique cela : les Belges forment un merveilleux mélange d’influences et de cultures, de passions et de raison, de foi et d’agnosticisme, d’engagement social et de désintérêt politique, de convivialité ludique et d’individualisme affirmé. Truffés de contradictions, ils sont chaleureux et loquaces avec l’ami, mais froids et distants avec l’inconnu. Bénévoles à tout crin, ils ne comptent pas leurs heures au service des autres, mais resquillent dès que les files s’allongent. Ils se mobilisent pour les justes causes et multiplient les ASBL solidaires, mais fraudent comme des Italiens ou défendent leurs prés carrés avec l’efficacité de vrais bourgeois, petits ou non. Ils sont comme cela, les Belges. Entiers.

Pour fêter les vingt ans du Vif/L’Express, ce sont eux que nous avons désiré mettre en avant. En deux décennies, le monde a bien changé. La Belgique aussi. Cette évolution, nous la saluons à travers ces portraits de femmes et d’hommes, de jeunes et de moins jeunes, qui font de la société belge un ensemble étonnant et multiple, riche de couleurs et d’espérances, malgré des combats toujours inachevés contre la pauvreté, le racisme, l’ignorance, l’injustice.

La vie, pour certains, reste plus dure que pour d’autres. Les psys, aujourd’hui, croulent sous le boulot. Trop de mères séparées attendent en vain une pension alimentaire vitale. Trop d’allocataires sociaux restent en marge de leurs rêves. Et les médiateurs découvrent chaque jour l’urgence de leur nouveau métier. Mais l’horizon est, aussi, fait de promesses et de bouleversements. Les bébés-éprouvette comblent désormais nombre de couples stériles. Les militaires acheminent l’aide humanitaire. Les vététistes transforment le sport en aventure. Les homosexuels peuvent enfin le clamer, et se marier. Les ados croient toujours le monde perfectible. Les agriculteurs apprennent la gestion informatique. Et les enfants de l’immigration ceignent l’écharpe échevinale… l

Stéphane Renard

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