Le verger haute tige, la haie qui sert aussi de fourrage, la haie brise-vent, autant de techniques ancestrales remises au goût du jour pour améliorer la perméabilité de nos sols. © belga image

L’énorme potentiel de l’agroforesterie à Bruxelles et en Wallonie

Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Les surfaces naturellement plus perméables dans les villes et les campagnes pour diminuer le risque d’inondation? C’est possible grâce à des sols vivants et, idéalement, arborés. Avec, en bonus, moins de carbone et plus de biodiversité.

L’endroit est idyllique. Le soleil du matin joue avec les roseaux et fait briller le feuillage tout neuf des arbres. Pendant l’interview, comme si c’était fait exprès, un héron vient se poser royalement. Ce qu’on appelle « le bas du Kauwberg » se trouve pourtant en plein Bruxelles, le long d’un des axes les plus fréquentés d’Uccle, la chaussée de Saint-Job, une des artères qui a connu des inondations particulièrement sévères en août 2011, déclenchant la colère des riverains. « Cette séquence fut très marquante pour l’ensemble des formations politiques, souligne Thibaud Wyngaard (Ecolo), alors conseiller communal et aujourd’hui premier échevin, en charge notamment des travaux publics et de la mobilité. La prévention des inondations a été une thématique centrale lors de la campagne de 2012, pour répondre aux attentes très fortes des associations et des groupements qui s’étaient constitués. »

Une terre retenue par un réseau racinaire est une terre plus perméable.

Une dizaine d’années plus tard, l’aménagement du bas du Kauwberg s’est enfin concrétisé en complément à la construction de deux bassins d’orage de 4 000 mètres cubes chacun. « Il s’agit ici de rouvrir un ruisseau, le Geleytsbeek, qui, auparavant, coulait dans un tuyau, connecté aux égouts, mais aussi de rendre les sols plus perméables, tout en renforçant la biodiversité et en captant plus de carbone, détaille Maëlle De Brouwer (Ecolo), échevine chargée de l’environnement et des espaces verts. On a créé ici des fosses, des noues d’infiltration, on a façonné le relief, on a abaissé les bordures des trottoirs pour que l’eau puisse passer… Et comme une terre retenue par un réseau racinaire est une terre plus perméable, on a planté des tilleuls, des aulnes, des saules… »

Le bas du Kauwberg, où une passerelle en bois a été installée, se trouve le long d'une des artères les plus fréquentées d'Uccle, inondée en 2011.
Le bas du Kauwberg, où une passerelle en bois a été installée, se trouve le long d’une des artères les plus fréquentées d’Uccle, inondée en 2011.© estelle spoto

La quantité d’eau ainsi captée est loin d’être négligeable. « Un sol de chez nous retient couramment de cinquante à quatre cents litres par mètre carré… dont il relâche lentement le contenu vers les nappes phréatiques et les rivières », précise le biologiste Marc-André Selosse dans son ouvrage consacré à l’histoire des sols L’Origine du monde (Actes Sud, 2021). On comprend donc l’intérêt, en ville, de déminéraliser les zones asphaltées ou de rendre semi-perméables les emplacements de parking, comme c’est le cas dans plusieurs chantiers ucclois.

Végétation permanente

Dans le bas du Kauwberg, la promenade est canalisée sur une passerelle en bois surélevée. Pas de piétinement du sol ici, contrairement à de nombreux parcs de la capitale où les flâneurs tassent la terre, la rendant quasiment imperméable. Cette problématique du tassement commence aussi à faire son chemin dans le secteur de l’agriculture, où des décennies d’exploitation intensive ont dévasté la perméabilité des sols.

« Naturellement entretenue par le développement des racines et la faune souterraine, la porosité est mise à mal en agriculture conventionnelle, confirme Marc-André Selosse dans son livre. Dans les sols labourés, la porosité est accrue et permet une plus grande entrée d’air et d’eau mais les larges pores formés retiennent moins l’eau et s’effondrent vite sur eux-mêmes, appelant d’autres labours et créant une dépendance récurrente à cette pratique aux effets collatéraux douteux. » Autres éléments néfastes relevés par le biologiste: la mise à nu par le labour des sols qui se couvrent sous l’effet de la pluie d’une croûte imperméable, le compactage par le passage des engins agricoles, la fertilisation minérale excessive et l’usage systématique des pesticides. Pour restaurer la vie des sols, Marc-André Selosse préconise, outre l’abandon du labour, un couvert de végétation permanent: « culture intermédiaire entre deux récoltes […], prairies temporaires ou haies et arbres en agroforesterie ».

Vers l'agroforesterie en Belgique?
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Bonne nouvelle: en Wallonie, le potentiel de développement de l’agroforesterie est énorme. « L’agroforesterie évolue, se réjouit Olivier Baudry, expert forestier, administrateur et fondateur de l’Awaf (Association pour l’agroforesterie en Wallonie et à Bruxelles). Au début, on trouvait surtout des lignes d’arbres dans les champs, espacées pour laisser passer la moissonneuse. Mais de plus en plus, on assiste à une réappropriation des techniques ancestrales qui étaient traditionnelles chez nous, comme le verger haute tige, la haie qui sert aussi de fourrage, la haie brise-vent… En maraîchage, on peut valoriser des petits fruits, des pommiers… La palette est très large et permet à l’agriculteur de piocher la technique qui lui convient le mieux. »

Olivier Baudry précise que même s’ils n’en sont pas forcément conscients, la majorité des agriculteurs pratiquent déjà l’agroforesterie en intégrant des haies ou des arbres isolés. « Mais pour des lignes d’arbres espacées dans un champ, on estime qu’on est à 500 ou 600 hectares sur une surface agricole utile de 700 000 hectares en Wallonie. » Soit même pas un pour mille. Les obstacles sont nombreux pour des techniques qui reposent sur du long terme (70% des agriculteurs sont locataires de leurs terres, l’âge moyen des agriculteurs dépasse les 55 ans), mais les promesses de l’agroforesterie sont réjouissantes. « Je reste persuadé que c’est en offrant le panel des méthodes, sans obliger personne, qu’on réussira à ce que les agriculteurs puissent se les approprier, conclut Olivier Baudry. C’est une démarche collective. »

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