Benoit Dardenne, professeur de psychologie sociale à l'ULiège. © DR

« Le sentiment d’impuissance collective serait le pire »

Pour le psychologue Benoit Dardenne, l’éventualité d’un reconfinement doit moins questionner sur la force ou la fragilité de la population que sur sa conviction de l’utilité de fournir de nouveaux sacrifices.

Psychologiquement, la population est-elle bien mieux préparée aujourd’hui à un confinement?

Tout dépend de la façon dont le précédent a été vécu. Il y a ceux qui sont plus fragiles qu’il y a huit mois et ceux qui sont plus forts, qui peuvent tabler sur une expérience acquise lors du premier confinement. Ce qui est certain, c’est qu’au printemps, on était dans l’ignorance complète. Jamais personne, ou très peu, n’avait vécu ce genre d’événement. Un reconfinement surviendrait alors qu’une certaine expérience a été acquise. Heureuse ou malheureuse, mais on n’est en tout cas plus dans l’inconnu, on sait ce qui va arriver, dans quoi on embarque. Et ça peut permettre d’anticiper une série de choses. On sait quelles sont les difficultés, à quels niveaux, donc on peut mettre en place des stratégies, tracer de nouvelles pistes. Pour pallier les manques notamment.

Ne pensez pas qu’il faut accepter le virus, plutôt que les mesures.

Au printemps, vu la météo assez exceptionnelle en plus, beaucoup disaient qu’un confinement en novembre aurait été une autre paire de manches. Nous y voilà…

Le timing ne va effectivement pas aider. Les jours raccourcissent, il y a moins de lumière et c’est un facteur qui peut, par exemple, augmenter le nombre de dépressions. Mais en même temps, il y a une série d’activités que vous aviez sans doute envie de faire à l’extérieur au printemps qui n’ont plus lieu d’être, ou moins, en cette saison, reconfinement ou pas. Sinon, oui, le moment est plus délicat. Parce que ça va être celui des fêtes aussi, qui sont importantes pour beaucoup, qui ont une valeur familiale extrêmement haute. Ça peut en fragiliser.

Des catégories de population sont plus vulnérables que d’autres?

La facilité relative de vivre un confinement dépend des ressources à disposition. Et une partie de la population en a moins. Donc, elle est moins bien armée pour affronter un reconfinement. La frustration va aussi jouer. Certains ont été plus touchés que d’autres, ont fait plus d’efforts que d’autres, plus de sacrifices, ont dû arrêter de travailler, ou prendre des congés sans solde, renoncer à leurs vacances au seul moment de l’année où ils pouvaient partir… Et on leur imposerait un nouveau confinement, comme si le premier n’avait servi à rien, n’avait mené à rien de tangible, en tout cas, ils n’en voient plus les effets. Il y a encore le sentiment d’impuissance. Certains vont estimer que le résultat de leurs efforts n’a pas ou guère porté de fruits. Seront-ils dès lors disposés à adhérer à une décision qui va leur redemander les mêmes efforts, voire davantage? Un fatalisme, dont je me méfie beaucoup, peut s’installer. L’idée qu’on ne peut rien faire contre ce virus, qu’on échoue dans tous les pays, qu’il faut l’accepter, plutôt qu’accepter de nouvelles mesures, qu’il faut accepter que x% de la population va en mourir, que c’est comme ça… Certains pourraient baisser les bras. Renoncer. Avec des conséquences dangereuses. D’où l’importance de sauvegarder le lien social, sans lequel, pour certaines couches de la population, vivre, gérer et accepter un second confinement serait encore plus difficile. Ça l’est déjà pour les mesures actuelles. C’est pour ça, notamment, que l’impact d’un leadership est important. Or, en Belgique, avec cette architecture institutionnelle, le recours à la notion d’un leader fort, homme ou femme, peu importe, est difficile. La multiplication des niveaux de pouvoir, des compétences fait que le message est souvent a minima dilué, incohérent voire contradictoire. Cette absence de leadership incontestable et très identifiable peut renforcer la frustration, le sentiment d’exclusion, d’impuissance, surtout chez ceux qui sont moins à même de faire face à l’isolement, à des restrictions difficiles à s’imposer.

Que faire, alors?

En l’absence de ce leadership fort et identifié par tous, il faut du respect, de l’empathie. On doit tous se faire à l’idée qu’on est sur le même bateau, lié par un destin commun, que nos moindres petites actions ont des conséquences, parfois catastrophiques parfois bénéfiques, sur le bien commun. Il faut renforcer l’unité. Le Premier ministre, Alexander De Croo, a utilisé lors de l’une de ses interventions l’image d’une équipe de football, constituée de 11 millions de joueurs: ce n’est pas du tout une mauvaise image! Parce qu’il appelle à jouer collectif, à soutenir les autres, à faire attention aux autres. On doit les respecter, comme via le port du masque qui est autant un geste de protection de soi que de respect des autres. Cette communication doit être martelée, de façon claire, cohérente, pédagogue et récurrente. Pour favoriser l’adhésion de la population. Et rappeler à tous que si on tire un petit avantage de comportements individualistes, leurs conséquences collectives sont désastreuses. Un petit bénéfice personnel et répété favorise la pandémie.

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