Le Kosovo et notre aveuglement

C’est le contraire d’une surprise. Désormais antiserbes, les violences qui ont éclaté de nouveau, la semaine dernière, au Kosovo sont le fruit direct, logique et prévisible d’une double cécité.

La première a été de ne rien faire ou presque, il y a quinze ans, pour canaliser l’éclatement yougoslave. Cette erreur-là était excusable. Déjà trop occupées à gérer l’effondrement soviétique, les puissances occidentales n’ont alors pas su mesurer le drame qui s’annonçait.

Les guerres balkaniques étaient oubliées. Seuls quelques spécialistes, diplomates, historiens ou journalistes, savaient encore que la fédération yougoslave réunissait non pas des ensembles homogènes, des Etats-nations prêts à reprendre leur indépendance, mais des républiques aux frontières aléatoires où toutes ses populations étaient imbriquées.

La Yougoslavie était un puzzle. Si sa fin était inévitable, il ne fallait pas laisser se séparer ses nations sans que des échanges de territoires et le règlement de la question des minorités évitent un bain de sang. La Grande-Bretagne et la France l’ont murmuré, mais l’oubli de l’Histoire et le désir de voir sombrer le dernier régime communiste d’Europe étaient trop profonds pour qu’on les entende. C’est dans la barbarie que la Yougoslavie s’est défaite, et vint, ensuite, la seconde cécité, elle impardonnable, qui replonge aujourd’hui le Kosovo dans la violence.

Dès lors qu’on avait accepté le morcellement yougoslave, il n’y avait plus de raison de vouloir, et de possibilité non plus, que les Etats qui en étaient issus préservent à tout prix la mosaïque nationale qui s’était brisée dans la fédération. Si la grande Yougoslavie n’était plus, pourquoi vouloir en maintenir de petites, en Bosnie puis au Kosovo ? Mystère, mais cette volonté s’est si bien imposée que la seule idée d’un règlement de la question des Balkans par la création négociée d’Etats-nations, d’une Grande Serbie, d’une Grande Croatie et d’une Grande Albanie, a paru criminelle.

La guerre de Bosnie en a été prolongée de plusieurs années, et quand l’Otan, taraudée par la honte de Srebrenica, a bombardé la Serbie pour protéger les Albanais du Kosovo, on a persévéré dans l’erreur. On n’a pas voulu voir que les victimes de la veille deviendraient inexorablement les bourreaux du lendemain si l’on prétendait les faire coexister avec les Serbes. C’est, pourtant, ce qui s’est produit.

Depuis quatre ans, dans un Kosovo sous administration internationale, les Albanais vainqueurs ont tant persécuté les Serbes défaits que ces derniers ont dû fuir, à leur tour, leurs maisons. Le nettoyage ethnique est pratiquement achevé et, maintenant que les Kosovars albanais passent à l’offensive pour obtenir leur détachement définitif de la Serbie, l’Otan achemine des renforts. Ils ne résoudront rien sans un partage de ce territoire et la constitution d’Etats nationaux qui ne retrouveront leur unité que dans un marché commun et, plus tard, un jour, dans l’Europe.

Bernard Guetta

Si la grande Yougoslavie n’était plus, pourquoi vouloir en maintenir de petites, en Bosnie puis au Kosovo ?

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