Le choix de Sofia

En Bulgarie, la Belgique, la France et d’autres pays forment, dans la langue de Molière, de futurs hauts fonctionnaires et cadres d’entreprises. But : contrecarrer la baisse constante du nombre de francophones

De notre envoyée spéciale

Le quartier dit des moutons à Sofia, capitale de la Bulgarie : sur fond de sommets enneigés, l’Institut de la francophonie pour l’administration et la gestion (Ifag) occupe un bâtiment austère dans une périphérie délabrée. Natacha, serbe, y déstresse, loin de Belgrade.  » Je ne sais pas si on a vécu le pire avec la guerre. Ou s’il est encore à venir. Avec un taux de 33 %, le chômage atteint un niveau jamais égalé en Serbie.  » Pour cette jeune francophile, licenciée en économie, l’inscription gratuite et la bourse décrochée pour un 3e cycle d’études (DESS, équivalent français du MBA), certifié par l’université de Nantes (France), représentent l’espoir d’une vie meilleure.  » L’Ifag travaille en partenariat avec des multinationales installées en Bulgarie ou à l’étranger.  » L’insertion professionnelle se trouve généralement au terme de cette année d’études, précédée d’un examen d’entrée qui retient seulement une soixantaine des quelque 300 candidats inscrits.

Egalement diplômée en économie, Axelle, bulgare, se réjouit à l’idée de pouvoir £uvrer dans le futur au  » développement du pays « . A l’Ifag, il y a encore Leonard, roumain, qui rêve d’une  » carrière internationale de PDG « , ou Nicolaï, moldave, qui vient d’être contacté par l’Union wallonne des entreprises (UWE) pour ouvrir, en Ukraine, un bureau de prospection. Outre le français et l’anglais, Nicolaï parle l’ukrainien, le russe, le roumain, le bulgare et le moldave. C’est un peu comme ça que Dessislava, la géographe bulgare quadrilingue, l’une des toutes premières diplômées de l’Ifag, a créé, en 1999, à la demande du gouvernement wallon, le bureau de l’Awex (Agence wallonne à l’exportation), à Sofia.

Fondé en 1996, l’Ifag est une réponse de l’Association universitaire francophone (AUF) à la demande d’aide et de coopération formulée par la Bulgarie, qui recense 10 % d’habitants parlant le français, lors de son adhésion, en 1993, à l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). C’est un peu ça aussi qu’on fête, en ce 20 mars, Journée de la francophonie : une certaine forme de solidarité et d’échanges de bons procédés, même s’ils ne sont pas toujours désintéressés. Car, au c£ur, il y a la défense d’une langue toujours plus menacée par l’hégémonie de l’anglais ( lire l’encadré page 22).

 » Le premier objectif de l’Ifag est d’assurer la relève d’un pays en matière de management. La francophonie n’est qu’un moyen.  » Son directeur, Jean-Yves Le Louarn, québécois d’origine française, a enseigné auparavant la gestion des ressources humaines à la Haute école de commerce (HEC) à Montréal. Par rapport aux universités bulgares, l’Ifag présente l’avantage d’une équipe internationale de scientifiques, qui s’y succèdent pour des séminaires de deux semaines. C’est actuellement le tour d’Ibrahim Shitou, habituellement professeur de logistique à l’université Paris-XIII. La Belgique envoie, quant à elle, un spécialiste de la psychologie sociale, Benoît Dardenne de l’université de Liège (ULg), ainsi que Bernard Glansdorff de l’Université libre de Bruxelles (ULB), pour un cours de droit des affaires comparé.

 » Il existe une conception francophone de la gestion des affaires, poursuit Le Louarn. Elle se résume à quelques valeurs comme le partage, l’humanisme… Dans la transition économique difficile que les pays de l’Est auront à assumer, il est important de former des managers éclairés, qui devront avoir des attitudes de respect pour leurs employés.  » A l’Ifag, cela passe par l’apprentissage du travail en équipe, confrontant des jeunes de formations diverses, des étudiants des deux sexes et d’origines ethniques différentes, autant de sources de conflits dans la région sensible des Balkans, où la culture slave de pays du Sud n’est pas non plus exempte de tout machisme.

Le monde du management n’en reste pas moins anglophone.  » L’Ifag s’est d’ailleurs inspiré de la stratégie des Américains qui forment des cadres pour jouer le rôle d’interface, servant leurs intérêts sur place « , poursuit le professeur de logistique. La bataille pour une langue ne se joue en effet pas uniquement sur le terrain culturel, elle est sans doute, plus encore, économique. En Bulgarie, appelée à adhérer à l’Union européenne en 2007, l’Ifag s’apprête à créer un département  » Administration européenne « . Les futurs hauts fonctionnaires qui en sortiront seront en quelque sorte chargés de défendre l’usage du français dans les institutions européennes, qui le pratiquent de moins en moins. Car le poids de l’anglais, mais aussi de l’allemand, devrait encore s’accroître avec l’élargissement à l’Est.

Cela dit, la francophonie plaide aujourd’hui davantage pour la diversité culturelle que pour une 1re place perdue depuis longtemps, au sein de l’Union européenne comme ailleurs. Ainsi, en Bulgarie, le russe n’est plus la 1re langue étrangère enseignée de façon quasi obligatoire jusqu’à la chute du mur de Berlin. Dans le secondaire, il n’est plus étudié que par 128 000 élèves. Cette diminution s’est d’abord faite au profit de l’anglais : en 2002, ils étaient 430 000 à le choisir, pour 340 000 en 1998. Pendant la même période, l’allemand a également progressé, passant de 110 000 élèves à 119 000. Le français chutait, quant à lui, de 94 000 à 71 000. Pas de quoi faire la fête ?

Dorothée Klein

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