Le chant de l’orphelin

Enfant abandonné, Hervé Vilard rend grâce à la vie et à ceux qui surent rompre le cercle de sa solitude. Un bouleversant voyage

L’Ame seule, par Hervé Vilard. Fayard, 388 p.

Hervé Vilard, c’est René Villard. Les initiales R.V. fourniront le prénom du chanteur, la suppression d’un  » l  » grandira Vilard sur l’affiche ! Ce ne sont pas les années passées sous les feux de la rampe qui attendent le lecteur, mais un voyage bouleversant dans sa vie d’avant. Une vie d’enfant abandonné. Quand le destin hésite entre une famille d’accueil aimante, à laquelle il est arraché, et d’autres familles négligentes, abusives, parfois misérables. On lui a dit que sa mère, Blanche, était morte, il sait que ce n’est pas vrai. Toute son enfance, il attendra une lettre qui ne viendra jamais, puisqu’elle a interdiction de le voir et de correspondre. La souffrance que lui impose le destin, il ne la retourne pas en révolte contre les autres :  » Partout, on finit par retrouver un signe qui nous contente.  » L’histoire du petit Villard n’est pas celle d’un enfant martyr.

Le miracle est qu’il ne soit pas tombé, à une époque où les services de l’Aide sociale faisaient de ces enfants des  » recueillis temporaires  » à vie, ballottés de famille en famille, parfois bonnes, parfois mauvaises, mais priées de ne pas créer de lien affectif. Vers la puberté, cette machine à majorer le malheur devenait souvent une fabrique de délinquants.  » La République m’a volé ma mère « , écrit Hervé Vilard, mais elle lui a donné  » un père « , le premier qui lui dit :  » Mon fils « . A sa grande surprise, un adulte rompt le cercle du mensonge et de l’abandon. Il est exceptionnel et s’appelle Daniel Cordier. Compagnon de la Libération, personnage brillantissime, qui incarne tout à la fois le courage, la légende de la Résistance (secrétaire de Jean Moulin), l’intelligence et le goût. Devenu après guerre grande figure du commerce des arts, il symbolise la réussite.

 » P’tit pauvre  » change de milieu et côtoie Francis Bacon,  » gras, tremblant, deux petits yeux pleins d’eau  » et  » son regard de chien « , qui le guide en Toscane, Henri-Georges Clouzot,  » sombre, en colère « , Pierre Mendès France,  » une chape de plomb  » sur les épaules, Louis Aragon et André Malraux,  » masque africain en convulsion perpétuelle « , qui prépare alors le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.

Avant, il y eut une autre rencontre exceptionnelle : Nénesse et Simone Auxiette, un couple de paysans berrichons. En Berry,  » on est dur avec les vieux, mais on les protège « . Les jeunes aussi. Une vie qui éduque au sens du réel :  » Les hommes tressent l’osier entre leurs doigts épais. On trie les noix, on chante. On glorifie les saints en tisonnant.  » Nénesse lit et relit George Sand, La Mare au diable :  » L’a ben décrit mon pays, la bourgeoise !  » Toute une humanité d’avant le Formica et la pellicule Technicolor. Un jour, Momo revient : Momo, c’est Moshé Zylberstein, devenu architecte, mais qui était arrivé chez Simone en guenilles,  » une étoile accrochée à la veste « . Elle l’a sauvé de la déportation. Nénesse et Simone, ni père ni mère, ont  » la simplicité d’aimer « . Ils nourrissent le c£ur du petit René  » comme un veau « , transgressant la consigne de ne pas s’attacher. C’est, à 7 ans, son  » premier été vert et jaune qui ne fanera jamais « .

Auparavant, il y avait eu la séparation d’avec sa mère. Dernière vérité, dernier mensonge :  » On ne fêtera pas tes 4 ans ensemble. Tu vas partir en colonie.  » Dernière image :  » Des perles d’eau coulaient sur ses taches de rousseur. Devant le Sacré-C£ur, maman m’a lâché la main. Elle m’a recommandé de bien tenir celle d’une bonne s£ur.  » Hervé Vilard ajoute simplement :  » Mentir avec amour, c’est du talent gâché.  » Il a continué à voir de l’amour là où il ne perce pas :  » On peut obtenir la douceur, je le sais depuis l’orphelinat.  »

Dire sans trop en dire. Ne pas froisser ses plus chers souvenirs. Ne pas noircir ce qui est déjà si sombre. Ne pas oublier toutes les grâces que la vie vous a finalement ménagées. Avec un sens de l’ellipse qui transforme le témoignage en littérature, Hervé Vilard a réussi ce qui est si difficile : ne pas rater l’histoire de sa vie quand on entreprend de la raconter. l

Paul Yonnet

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