Le cercle des poètes déçus

Les teen-agers de Bienvenue au club se retrouvent au complet dans Le Cercle fermé. Mais, de Woodstock aux années Blair, ils ont troqué canulars et insouciance contre amertume et compromissions. Un pathétique mais magnifique adieu à la jeunesse signé Jonathan Coe

Le Cercle fermé, par Jonathan Coe. Trad. de l’anglais par Jamila et Serge Chauvin. Gallimard, 544 p.

Quand il était ado, dans le Birmingham des seventies, Jonathan Coe écoutait Clapton, taquinait le clavier et chantait sur des scènes improvisées des mélodies glam rock dont il ne fit pas des tubes. Ce fut donc un faux départ, mais une belle occasion pour devenir un homme-orchestre : que l’on demande à ce boulimique de signer un article dans la presse, d’écrire une comédie musicale, un scénario pour le cinéma, un livre pour enfants, une biographie de Humphrey Bogart ou de James Stewart, il dégaine aussitôt sa plume. Et, bien sûr, il y a tous ces romans délicieusement british qu’il catapulte par-dessus le Channel avant qu’ils fassent le tour du monde des traductions.

Tout ça sans avoir l’air d’y toucher : comme il est passé par Cambridge – études à Trinity College – Coe a appris à ramer sans faire de vaguesà Mais, attention ! ce gentleman pur miel est un amateur de fiel, qui flingue avec flegme. Les lecteurs de Testament à l’anglaise savent de quoi il retourne : cette comédie aussi moelleuse qu’un siège de Bentley cache une féroce caricature de l’Angleterre thatchérienne, avec ses spéculateurs et ses arrivistes, ses ripoux costumés et ses pseudo- travaillistes recyclés dans la politique spectacle. C’est ainsi que Coe s’est imposé comme l’un des meilleurs satiristes d’outre-Manche, avant d’aller chasser sur les terres de Lewis Carroll pour écrire La Maison du sommeil (prix Médicis étranger en 1998), un subtil hommage aux somnambules où se confesse une  » belle-au-moi-dormant  » qui traverse les miroirs et nous entraîne dans la forêt enchantée de ses songes.

Mais Coe – né en 1961 – est aussi le peintre de sa génération. Celle qui a grandi dans l’Angleterre rockabilly de l’ère Woodstock, en planant sur de petits nuages d’herbe bleue. C’est le sujet de Bienvenue au club (Gallimard, 2003), un revival nostalgique où se trémousse une joyeuse bande de teen-agers, Benjamin, Paul, Doug, Philip, Sean, des dragueurs empotés qui gratouillent leurs guitares entre deux cours dans le Birmingham des années 1970. A leurs déconnages hilarants, Coe ajoute un tableau remarquable de l’Angleterre de ce temps-là : il y a les derniers éclats de l’Etat providence, l’insouciance chevelue d’une époque gentiment baba cool, mais aussi les spectres de l’extrême droite et les sanglantes menaces de l’IRA. Jusqu’à ce final éblouissant où, dans les volutes chaloupées d’une phrase de 40 pages, Coe réunit tous ses personnages en leur annonçant que leurs aventures auront une suiteà

On attendait donc la face B. La voici, avec Le Cercle fermé, nouvelle fresque sociale où se profile, cette fois, l’Angleterre de Tony Blair. Les héros de Bienvenue au club sont là, au complet. Ils ont la quarantaine. Ils ont coupé leurs cheveux et leurs bedaines naissantes commencent à déformer leurs vestons. Fini Clapton, finis les canulars, bonjour les emmerdes. Le roman s’ouvre au moment où le xxe siècle se referme. Devant l’écran de son ordinateur, le soir du réveillon, Benjamin Trotter attend que le bogue annoncé fasse péter la planète. Il ne va pas très bien, lui non plus. Son mariage avec Emily bat de l’aile, il s’ennuie dans son costard d’expert-comptable, rumine ses frustrations d’écrivain raté et, surtout, n’arrive pas à oublier la trop douce Cicely, qui l’a plaqué il y a vingt ans avant de s’envoler vers l’Amérique. Pour Benjamin, la maturité est une calamité, alors que son frère Paul, brillant député travailliste, a su tirer son épingle du jeu ; on le voit partout, à la télé, dans les journaux chics, et parfois en compagnie d’une sirène très court vêtue qui ne se contente pas d’être sa conseillère médiatique.

André Clavel

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