Le bataillon des rappelés

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le camembert, l’automobile et les baskets. On dirait le titre d’une fable de La Fontaine… C’est l’histoire de centaines de milliers de produits de consommation, alimentaires ou non, rappelés, chaque année, par leur distributeur ou leur fabricant. Leur tort ? Ils ont des défauts : un colorant interdit par la réglementation européenne, détecté dans de la tapenade venue de Grèce ; des morceaux de verre repérés dans des bocaux de choux rouges ; une pièce de chaise pour enfants potentiellement dangereuse ; une languette de métal susceptible de blesser le propriétaire de chaussures de sport ; une direction de voiture défaillante…

Les statistiques manquent pour le confirmer avec précision, mais le mouvement ne devrait pas s’essouffler. Nombre de produits, technologiques par exemple, de plus en plus complexes, sont aussi de plus en plus fragiles. La miniaturisation et le recours accru à l’électronique ne font rien pour arranger les choses. En avril dernier, le fabricant automobile DaimlerChrysler a sonné le rappel de 1,3 million de Mercedes dispersées dans le monde, dont 25 000 environ en Belgique. En cause : des problèmes de dynamo, de circuit électrique et de freins ! Le constructeur français Peugeot vient de rappeler 90 000 modèles 370, après qu’un problème au système ABS eut été signalé en Scandinavie… Pourtant, les véhicules d’aujourd’hui sont globalement plus sûrs que leurs jeunes ancêtres. En témoignent les garanties proposées par les constructeurs, de plus en plus longues. Mais la concurrence est telle que certains modèles sont sans doute lancés sur le marché sans avoir subi jusqu’au bout tous les tests nécessaires.

Une question d’image

Les constructeurs assument : leur responsabilité juridique peut être engagée en cas de problème. Le fabricant japonais Mitsubishi, qui, pendant des années, avait dissimulé des défauts de sécurité sur certains de ses véhicules, est bien placé pour le savoir. Il a mis longtemps à s’en remettre.

Les rappels coûtent pourtant très cher : au moins 100 millions d’euros pour le retrait des Mercedes décidé par DaimlerChrysler et 130 millions de dollars pour Coca-Cola, en 1999, contraint d’enlever 160 millions de ses produits des rayons belges (lire ci-contre). Perrier, qui avait retiré 72 millions de bouteilles d’eau minérale du marché américain, en février 1990, après que des traces de benzène y eurent été détectées, a enregistré une perte d’exploitation de 1,8 milliard d’euros cette année-là. Une conséquence directe de l’opération de retrait.

Mais les entreprises n’ont pas le choix. Nombre d’entre elles, cotées en Bourse, redoutent d’être sanctionnées par les marchés qui feraient immédiatement chuter le cours de l’action. A la moindre alerte, il leur faut battre le rappel, du moins si elles veulent conserver intactes leur crédibilité et leur image.  » Les gens savent bien que tout peut arriver et que rien n’est parfait, rappelle Jean-Pierre Roelands, directeur commercial chez Colruyt. Ce n’est pas là-dessus qu’ils nous jugent, mais sur notre efficacité à réagir.  » Le distributeur a d’ailleurs mis en place un système qui lui permet de prévenir par mail les clients dont il sait qu’ils ont acheté le produit défectueux.  » Les consommateurs apprécient d’être prévenus directement « , ajoute-t-il.

C’est que la crise de la dioxine, en 1999, a laissé des traces. Depuis lors, la réglementation a été renforcée. L’Afsca (Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire) impose aux entreprises de lui signaler tous les produits à problèmes. C’est à elle, ensuite, que revient la décision d’ordonner, ou non, leur rappel. La traçabilité des produits, imposée dans le secteur alimentaire, et le conditionnement par lots, qui rend les produits défectueux plus facilement identifiables, rendent aussi les rappels plus aisés.  » L’alimentation n’a jamais été aussi sûre qu’aujourd’hui, ni les méthodes de détection aussi précises « , affirme Jean-Pierre Roelands.

Une grande réactivité

Au niveau européen, la réglementation s’est également renforcée. Désormais, chaque Etat membre est tenu d’avertir les autorités européennes lorsqu’il retire un produit de la vente. Or, d’une manière générale, les nouveaux pays adhérents à l’Union européenne sont très zélés, en la matière : ils communiquent énormément sur les produits défectueux repérés sur leur territoire.  » Depuis la crise de la dioxine, les entreprises ont tendance à diffuser davantage de bulletins d’alerte et beaucoup plus vite, même dans le secteur non alimentaire « , résume Baudouin Velge, administrateur délégué de la Fédération de la distribution (Fedis). Elles ne veulent pas prendre le risque de voir leur image associée à un produit jugé non fiable.  »

En Europe, contrairement aux Etats-Unis, ce n’est pas la peur des procès qui tétanise les entreprises. Mais elles ont bien conscience que le consommateur de 2006 n’a plus qu’un lointain rapport avec son cousin de 1986. Les clients d’aujourd’hui sont plus et mieux informés qu’auparavant : la transmission d’informations, notamment via Internet, leur permet d’en savoir plus sur les produits qu’ils acquièrent. Donc, de se montrer plus critiques et plus exigeants.  » Les consommateurs sont devenus beaucoup plus réactifs « , confirme Antoinette Brouyaux, porte-parole du Crioc (Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs). Avec les inévitables abus que cela suppose.

 » Les gens ne s’étonnent pas qu’un produit ne soit pas parfait. Mais la manière de régler le problème offre aux entreprises l’occasion de renforcer la loyauté envers eux, résume Steve Leroy, directeur de la communication chez Coca-Cola Europe. Ils ont besoin d’être rassurés.  »

Laurence van Ruymbeke

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