L’ARGENT DES ROIS

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Combien  » gagne  » Albert II ? Les revenus de la famille royale sont-ils comparables à ceux des autres monarchies européennes ? Au moment où la dernière  » affaire Laurent  » relance le débat sur les dotations princières, Le Vif/L’Express enquête sur l’argent des rois.

Qui plaindrait les monarques européens ? Solidement installés sur leurs trônes et largement dotés par leurs Etats respectifs, ils peuvent se réjouir de leur bonne fortune.  » Chaque année, la plupart des têtes couronnées perçoivent un peu plus d’argent public. Seuls le roi d’Espagne et la famille royale de Belgique ont vu, crise économique oblige, leurs dotations quelque peu réduites depuis 2010 « , constate Herman Matthijs, professeur de finances publiques à la VUB et auteur d’études comparées sur le coût de la monarchie dans huit pays : le Royaume-Uni, l’Espagne, la Norvège, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas, la Belgique et le grand-duché de Luxembourg.

Elisabeth II d’Angleterre a, certes, perdu l’an dernier le contrôle absolu de ses finances : la reine doit désormais justifier la manière dont elle dépense les 38 millions de livres (45 millions d’euros) versés chaque année par le Trésor public pour le paiement de son personnel et l’entretien de ses palais. Mais la monarchie britannique demeure la plus coûteuse d’Europe. Avec respectivement 39,1 et 25,1 millions d’euros par an, les monarchies néerlandaise et norvégienne occupent les 2e et 3e marches du podium. La Maison royale de Belgique est bien servie elle aussi, avec 13,5 millions d’euros – liste civile d’Albert II et dotations princières -, hors coûts de sécurité et autres frais pris en charge par les ministères.

Symbole de l’unité du pays

Où sont les parlementaires communistes belges de 1950 qui criaient, lors de la prestation de serment du prince royal Baudouin,  » Vive la République !  » devant les chambres réunies ? Que sont devenus les  » provos  » néerlandais qui, en 1966, jetaient des bombes fumigènes sur le cortège nuptial de la princesse héritière Beatrix et de son mari allemand, le prince Claus. Qui se souvient que François Mitterrand considérait, en 1975, Juan Carlos comme un  » roi de troisième main  » sans avenir ?

Aujourd’hui, l’Espagne et la Belgique – la partie francophone surtout ! – restent majoritairement attachées à leur souverain, considéré comme un symbole de l’unité du pays. Plus populaires encore, Beatrix des Pays-Bas et Margrethe de Danemark n’hésitent pas à donner leur avis sur les affaires du royaume. Toujours aussi médiatisées, les familles régnantes britannique et monégasque défraient moins qu’autrefois la chronique des scandales. Pour les Windsor et les Grimaldi, les deux mariages princiers de 2011 – William et Kate fin avril, Albert et Charlene début juillet – ont même été l’occasion de rajeunir ou de redorer l’image de la monarchie. Deux unions marquées, en outre, par l’ouverture : les promises étaient filles de roturiers.

Si les souverains du Vieux Continent servent plus que jamais de boussole glamour à des sujets en mal de repères, certaines familles royales ont, il est vrai, plus de soucis que d’autres. En 2002, le mariage du prince héritier norvégien Haakon avec la jeune Mette-Marit, une mère célibataire épinglée pour sa vie dissolue faite de sorties, d’alcool, de drogue et de sexe, a jeté un froid dans le royaume. La jeune femme a dû revenir sur cette période trouble lors d’une confession médiatique et assurer qu’elle avait pris ses distances avec ses anciens amis. Le pouvoir royal ébranlé, les parlementaires norvégiens ont envisagé un moment l’instauration d’une république.

La  » crise du roi « 

De même, en Suède, Carl XVI Gustaf est rattrapé, à 65 ans, par son passé de fêtard excentrique et d’amateur de soirées libertines. Le souverain a nié ces dernières semaines avoir fréquenté des clubs de strip-tease et démenti avoir eu recours aux services du milieu. Toujours sur la défensive, il n’a pu endiguer ce que le pays appelle la  » crise du roi « . Les sondages ont indiqué, pour la première fois, une nette perte de popularité. Plus de 40 % des Suédois pensent qu’il devrait abdiquer en faveur de sa fille aînée Victoria, seule capable de sauver la monarchie d’une mort lente.

Albert II, lui, a d’autres soucis. Le roi des Belges voit son sort lié à l’avenir d’un pays fragilisé par le spectre du séparatisme flamand. Et il ne sait plus à quel saint se vouer pour désamorcer une crise politique hors normes. D’autant que chaque choix du souverain est passé au crible par la classe politique. Certes, depuis les élections de juin 2010, l’action du roi a suscité plus de louanges que de critiques. Seuls bémols : les libéraux ont fait comprendre qu’ils n’avaient pas apprécié leur longue attente sur la touche et, l’hiver dernier, la N-VA a critiqué le recours du souverain à Johan Vande Lanotte, désigné conciliateur royal. Mais, globalement, le monde politique francophone estime que le roi joue habilement sa partition dans cette crise.  » Il est l’horloger qui met de l’huile dans les rouages « , assure le sénateur CDH Francis Delpérée. D’autres élus laissent entendre que la Belgique n’a rien à gagner dans un affaiblissement de la Couronne.

Albert II critiqué en Flandre

Toutefois, côté flamand, on a moins d’égards envers la personne du souverain et on remet ouvertement en cause l’efficacité de ses initiatives. La ministre de l’Intérieur Open VLD, Annemie Turtelboom, n’a-t-elle pas déclaré, dans une interview récente à nos confrères de Knack (22 juin 2011), qu’Albert II  » aurait dû suivre l’exemple de la reine des Pays-Bas  » ? Explication :  » L’an dernier, en plein blocage politique, Beatrix a désigné un formateur appelé à devenir Premier ministre après avoir mis sur la table un programme de gouvernement, remarque la ministre. Si notre roi avait fait de même en septembre 2010, on aurait perdu moins de temps. « 

La royauté suédoise, la plus protocolaire des monarchies européennes, est, depuis plusieurs années déjà, citée en modèle par certains observateurs flamands et par la plupart des partis politiques du nord du pays – CD&V excepté -, qui entendent réduire le pouvoir du roi en Belgique. La question de la réforme, voire de la suppression du système belge des dotations princières, considéré comme peu transparent par les spécialistes, revient également comme une antienne.

Aucune transparence en Belgique

 » En Suède et en Espagne, la famille royale se voit attribuer un montant global, soumis à la fiscalité, remarque le Pr Hendrik Vuye, professeur de droit constitutionnel aux Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix, à Namur. Ce n’est pas le cas en Belgique. Aux Pays-Bas, le système est d’une grande transparence et le nombre de bénéficiaires d’une dotation est limité. En Belgique, c’est l’opacité dans les comptes, et les princes qui reçoivent une dotation n’ont jamais été aussi nombreux. Il est temps de réglementer la question !  » Comme la plupart des experts flamands en dotations princières, Vuye plaide pour une réforme en profondeur du système belge. Ce natif de Renaix –  » la seule ville de Flandre qui, lors de la consultation populaire de 1950, a voté contre le retour de Léopold III en Belgique !  » tient-il à rappeler – vante le modèle néerlandais et déplore le  » tabou  » qui entoure encore le coût de la monarchie belge.

 » Aux Pays-Bas, explique-t-il, on fait la distinction entre la Maison royale et la famille royale. A sa majorité, chaque membre de la famille accepte ou non de figurer dans la liste de succession au trône. Si on accepte, on est membre de la Maison royale, avec des droits et des obligations à la clé. Vos actes sont alors couverts par la responsabilité ministérielle. Notre système est plus flou, d’où les dérives actuelles, entre autres les initiatives malheureuses du prince Laurent. « 

La monarchie néerlandaise plus coûteuse ?

Pour autant, les chiffres semblent indiquer que la monarchie néerlandaise est près de trois fois plus coûteuse que la belge. Les budgets ne risquent-ils pas d’exploser le jour où la Belgique se décidera à modifier le régime des dotations princières ?  » Les montants alloués aux monarchies britannique et néerlandaise paraissent, en effet, plus élevés, répond le Pr Matthijs. Mais c’est surtout parce que le système des dotations au Royaume-Uni et aux Pays-Bas est plus transparent. Il y a moins de coûts cachés et plus de contrôles que chez nous. Voilà pourquoi il est si difficile de comparer avec précision les revenus des familles royales en Europe. « 

OLIVIER ROGEAU

Le monde politique francophone estime que le roi joue habilement sa partition

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