L’ancienne guerre et la nouvelle

Nos destins divergent. Soixante ans après le Débarquement, et bien au-delà du différend irakien, l’Europe et les Etats-Unis ne se définissent plus seulement comme des alliés. Dans le siècle qui s’ouvre, l’Amérique et l’Union européenne sont aussi concurrentes.

Il faut le voir car, à nier cette réalité, nous ne ferions que compromettre la refondation d’un lien dont la démocratie a, plus que jamais, besoin.

Concurrents, nous le sommes, d’abord, sur le champ de l’économie. Tout comme Airbus et Boeing se disputent le marché mondial de l’aéronautique dans une bataille qui ne les laissera pas à égalité, l’Europe et l’Amérique sont désormais engagées, secteur par secteur, dans une guerre pour la prééminence industrielle et commerciale.

C’est aussi vrai dans la grande distribution que dans la haute technologie, dans l’agriculture que dans l’armement, dans le cinéma que dans la banque ou la pharmacie. C’est si vrai que, malgré leur rivalité, les deux premières puissances économiques européennes, l’Allemagne et la France, se sont décidées à favoriser l’émergence de  » champions  » communs dont elles ambitionnent de faire, sur le modèle d’Airbus, les champions industriels de l’Union.

La raison le commandait car, sans unir ses forces, l’Europe ne conquerra pas les marchés émergents. Sans un Airbus par branche, elle abandonnerait la Chine, l’Inde, l’Amérique latine, l’Afrique demain, aux seuls Etats-Unis, dont elle deviendrait, au mieux, le sous-traitant. Face à l’Amérique, l’Europe a un défi économique à relever qui l’oblige au volontarisme. Elle peut, oui, bien sûr, échouer à s’unir, mais l’aiguillon est si fort, les intérêts en jeu si grands que ce n’est pas le plus probable.

Dans cette bataille industrielle, devant le défi américain, l’Europe deviendra l’autre superpuissance, économique et politique, qu’elle doit être pour ne pas décliner. Plus l’Union s’affirmera, moins les Etats-Unis voudront financer sa défense. Plus l’Europe devra prendre en charge sa sécurité, plus son unité s’approfondira, avec une culture et un modèle social qui lui sont propres. C’est la dynamique de la concurrence, la logique d’une autre époque.

Dans ce siècle, l’Amérique a une puissance à défendre. Nous avons, nous, à promouvoir la nôtre. La priorité des Américains sera de tisser des liens privilégiés avec la Chine. Nous regarderons, nous, vers l’Amérique latine et la Méditerranée, l’Inde et la Russie, l’Afrique un jour. Cela porte un partage d’influence, mais, si nous ne voulons pas que cette compétition dégénère en conflit, nous devons admettre qu’elle existe et se développera, lui chercher des règles, l’inscrire dans la quête concertée du nouvel équilibre international qu’appelle toujours l’effondrement soviétique.

Il y a un précédent à cette entreprise. C’est l’Entente cordiale, l’accord que la France et la Grande-Bretagne avaient su conclure à leur apogée, il y a cent ans, pour maîtriser leur rivalité û ne pas nuire, en se nuisant, à leurs valeurs communes.

Bernard Guetta

Dans ce siècle, l’Amérique a une puissance à défendre. L’Europe a, elle, à promouvoir la sienne

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire