La vidéo majuscule

Guy Gilsoul Journaliste

Neuf chambres, et autant d’univers. Entre rêve, cauchemar et réalité, l’expérience au Smak, à Gand, est vraiment troublante

Dream Extensions, Gand, Smak (musée d’art contemporain), Citadelpark. Jusqu’au 21 mars. Tous les jours, sauf le lundi, de 10 à 18 heures. Tél. : 09 221 17 03.

Les artistes vidéastes ont longtemps été inféodés aux réalités de leur médium, le petit écran. A la manière d’un livre ouvert, leurs images réclamaient l’attention soutenue du lecteur, à qui ils assénaient diverses leçons de choses. Mais, depuis les années 1990, avec l’arrivée de nouvelles technologies et le désir d’inclure physiquement le visiteur au c£ur des £uvres, la nouvelle génération privilégie souvent la voie du spectacle total. D’où ces espaces grandeur nature, voire surdimensionnés avec, accrochés en hauteur, posés à l’horizontale ou en polyptyque, des écrans monumentaux qui côtoient des objets du quotidien (fauteuils, tapis, télévision) et des pièges visuels (miroirs, éclairs stroboscopiques) tout en incluant l’accompagnement sonore, le texte et autres ressources de la technologie interactive.

Au Smak de Gand, le ton est donné dès la première chambre, sorte d’îlot posé en avant-goût des huit autres, distribuées suivant un itinéraire dédaléen au sein du musée. A l’extérieur du parallélépipède, tout est lisse et blanc. Seule une poignée indique une discrète porte d’entrée. La surprise est totale. Dans la pénombre, on plonge au c£ur d’un conte de fées signé par le Britannique Abigail Lane. Bulles de lumières et petite fontaine (bien réelle) glissent et ricochent doucement jusque sur l’écran où, dans un bois magique, surgit, d’une colonne de vapeur, un merveilleux prince-panda, Orphée des jours actuels, musicien et danseur, qui, on le découvre plus tard, clôture une saga où l’horreur fut souvent présente.

En effet, dans cette exposition, le rêve jouxte le cauchemar quand ce n’est pas la réalité elle-même, souvent extrême, qui est convoquée. Mais alors une réalité inaccessible, dont l’imaginaire populaire avait jusque-là défini les contours. Ainsi, ces lieux interdits filmés par les deux s£urs anglaises Jane et Louise Wilson, qui nous font entrer de plain-pied et avec quelques vertiges (via quatre écrans géants et des bruits inquiétants) dans une base spatiale du Kazakhstan. Selon une scénographie qui force aux déplacements et aux changements de points de vue, leurs images inquiètent autant qu’elles rappellent, mais pour un temps seulement, celles du cinéma de science-fiction : perspectives effrayantes, monumentalité des installations, textures rouillées, machineries au repos ou grinçantes, navettes abandonnées, paysage désertique et absence totale de toute présence humaine.

C’est, au contraire, dans un appartement fort surchargé, il est vrai, mais parfaitement quelconque, que la Finlandaise Eija-Liisa Ahtila, via trois écrans disposés en triptyque, nous mène jusque dans l’esprit dérangé de son héroïne dont l’attitude, les gestes et les paroles nous glacent peu à peu. Au contraire, c’est le rire qui l’emporte lorsqu’on suit les aventures entre rêve (en couleur) et réalité (en noir et blanc) du Suisse Olaf Breuning, emmené dans son délire au pays des films de série B, des clips vidéo et de jeux de rôle d’ados en mal d’hallucinations. C’est à la grande histoire du cinéma que renvoie, par contre, l’£uvre étrange et inquiétante de Georgina Starr et de son héroïne, la petite fille inspirée par l’histoire de Bunny Lake Is Missing, d’Otto Preminger. Sur deux écrans et par la présence énigmatique d’une maquette d’un jardin clos (qui fut réalisé grandeur nature dans les jardins de la villa Médicis, à Rome, en 2002), l’artiste anglaise nous suggère un véritable récit à rebondissements dont l’issue nous sera gardée secrète.

Mais l’art vidéo joue aussi la carte de la haute technologie et de l’expérience virtuelle. Ainsi Link, signée Mariko Mori. Le visiteur, enfermé dans une bulle, y vit, hors de ses limites physiques, l’expérience de ce que les bouddhistes atteignent après de longues années de travail et de méditation. Oui, au Smak, une fois encore, la visite ne laisse pas indifférent.

Guy Gilsoul

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