La pêche aux agriculteurs

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Fort courtisés, les agriculteurs, en cette période de confection des listes. Et pourtant, leur poids électoral ne cesse de diminuer…

A l’approche des élections, et alors que le nombre d’exploitations ne cesse de baisser (il n’en reste que 14 000 en Wallonie, pour plus du double en 1990), tous les partis sont engagés dans une opération de séduction vis-à-vis du monde rural. Le CDH et le MR, les partis traditionnellement les mieux implantés dans les campagnes, ont fait fort en engageant les présidents des deux syndicats agricoles. Première salve au CDH qui présente, à Ath, sur sa liste Forum, Philippe Duvivier, président de la FUGEA (Fédération unie de groupements d’éleveurs et d’agriculteurs). Réplique du MR : René Ladouce, président de la FWA (Fédération wallonne de l’agriculture), figure à Dinant sur la liste du bourgmestre Richard Fourneau, et emmène la liste libérale à la province de Namur.

Les deux partis comptent chacun un ministre de l’Agriculture, le CDH avec Carlo Di Antonio, à la Région wallonne, et le MR avec Sabine Laruelle au fédéral. Carlo Di Antonio marche clairement dans les pas de son prédécesseur Benoît Lutgen pour favoriser une agriculture familiale, autonome, bien implantée dans son terroir, qui permet de conserver de l’emploi. Les orientations de la FUGEA, qui prône  » une agriculture paysanne solidaire, au service de l’environnement et de l’homme « , ne sont pas très éloignées du volet agricole du programme humaniste.

Le bon sens paysan

Sabine Laruelle a été directrice générale de la FWA avant d’entamer, en 2003, sa carrière de ministre de l’Agriculture, mais aussi des Classes moyennes, des Indépendants et des PME. C’est peut-être une des raisons qui ont guidé le choix de René Ladouce, qui a retrouvé au MCC (Mouvement des citoyens pour le changement, une des composantes du MR) Richard Fourneau, aux côtés duquel il avait siégé comme conseiller communal dans le groupe PSC, et qui avait déjà tenté de l’entraîner sur sa liste pour les communales de 2006.  » Je suis de centre-droit, dit René Ladouce, et le discours du MR me convient quand il encourage les indépendants et le développement des entreprises, surtout les PME et les très petites entreprises. Nous agriculteurs, nous avons une vision de gestionnaires, et je pense que je pourrais apporter mon bon sens paysan dans une équipe. Entre autres sur le point de vue environnemental, qui n’est manifestement pas bien compris par tout le monde. « 

 » René Ladouce, affirme Philippe Duvivier, a une vision ultralibérale. L’agriculture qu’il pratique et qu’il défend est aux mains du commerce mondial, qui en fin de compte décide de ce que nous pouvons ou devons faire. Les grands groupes agro-alimentaires nous réduisent à un rôle de simples producteurs de matières premières, dépendants des fluctuations sur les marchés. Le taux d’endettement des agriculteurs est tel qu’ils perdent la maîtrise de leurs exploitations, au profit des banques. L’agriculture doit retrouver ses lettres de noblesse : nourrir les gens, et pas engraisser les spéculateurs. « 

 » Je ne peux pas admettre d’être qualifié d’ultralibéral, rétorque René Ladouce, et ma campagne électorale n’a rien à voir avec la FWA, qui a un statut apolitique. Dans mon exploitation, j’élève des vaches laitières, en prairies, et je produis, hors sol, des poulets et des porcs. D’autres privilégient une vision différente, c’est leur choix. Il y a place en Wallonie pour tous les modèles, mais je ne veux pas qu’on privilégie un système par rapport à un autre. « 

Autonomie maximale

 » Nous devons renouer avec l’esprit d’entreprise, affirme Philippe Duvivier, reprendre les choses en main, redevenir le plus autonome possible, nous réapproprier le secteur de la transformation, participer à des magasins ruraux, nous battre par exemple pour conserver, ici à Ath, notre abattoir communal… Je sais que les agriculteurs ne représentent pas une grosse partie de l’électorat, mais la majorité des communes wallonnes sont rurales et l’équilibre social et environnemental entre les nouveaux habitants et les agriculteurs est à rechercher en permanence. « 

Au-delà de l’électorat que constituent les agriculteurs, les stratèges politiques s’adressent en fait aux consommateurs qui veulent une alimentation de qualité, aux promeneurs qui veulent des haies et des sentiers bien entretenus, à ceux qui ont choisi de dormir à la campagne ou à tous ceux qui s’opposent aux projets d’élevage intensif, et qui sont des électeurs bien plus nombreux que ceux qui les portent. Les programmes des partis sont fort semblables à première vue ( voir ci-dessous) et le populisme n’en est pas toujours absent. C’est d’ailleurs un reproche que la FWA fait au PS, dont les agriculteurs, traditionnellement, ne font pas partie du c£ur de cible.  » Et cela se voit qu’ils n’ont pas trop l’habitude, estime René Ladouce, président de la FWA : comment expliquer sinon les déclarations du président Thierry Giet qui a suggéré de bloquer les prix de certains aliments, comme cela a été fait pour l’énergie ? Les agriculteurs ne sont en rien responsables de la fixation des prix du lait ou du pain, et quand le montant qui nous est payé pour les céréales ou le lait s’effondre, le prix ne baisse pas pour les consommateurs.  » Pareil avec Laurette Onkelinx, la ministre PS de la Santé, qui, dans son plan  » nutrition 2012-2020 « , déclare que la consommation excessive de viande est mauvaise pour la santé. C’est maladroit, et mal ressenti par un secteur en difficulté.

Michel Delwiche

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