La mémoire du coron

Conseillère communale à Jumet dès 1939, députée de 1954 à 1965, présidente des Femmes prévoyantes socialistes de 1945 à 1981. La vie de cette fille de mineur se confond avec les grandes conquêtes féminines

Les combats paternels pour la journée de 8 heures, le suffrage universel… Ce sont les premières années d’enfance, dans le coron de Roux (Charleroi), qui reviennent d’abord à la mémoire d’Yvonne Lambert, aujourd’hui, dans sa maison de repos à Marcinelle. Le soir, au coin du feu, la gamine buvait les paroles du père. Cet ouvrier mineur racontait alors la révolte ouvrière de 1886, matée à Roux dans une fusillade. Syndicaliste acharné, il aimait aussi retracer la genèse du Catéchisme du Peuple d’Alfred Defuisseaux. Dans sa bibliothèque, qui squattait deux planches d’une armoire, trônaient aussi les Discours parlementaires et Semailles de Jules Destrée.

Yvonne Lambert se souvient encore de la maison familiale, cernée de gendarmes, les jours de grève. Un temps, son père s’était même exilé pour tenter – en vain – d’échapper à la prison, en raison de ses activités militantes. Sa mère, qui ramassait déjà à l’ordinaire du bois aux alentours, cultivait les légumes du jardin, cousait les vêtements de la famille, tricotait la laine de leurs moutons, avait alors dû en outre proposer ses services dans un magasin et grappiller presque chaque jour trois seaux de charbon sur le terril, les forces de l’ordre aux trousses : un pour le chauffage et les besoins domestiques, un autre pour la provision d’hiver et un dernier revendu pour permettre à la famille de manger.

Gamine, la mère d’Yvonne, une benjamine de dix enfants, avait étudié à l’école  » le premier et le deuxième livres « . Cela lui avait permis de lire à voix haute, chaque matin, le journal Le Peuple à l’oncle chez qui elle vivait, un militant socialiste illettré.

Comment ne pas s’engager avec un tel patrimoine génétique ? Après huit années à l’école primaire et au  » quatrième degré « , puis des cours accélérés de sténodactylo et de comptabilité le dimanche, Yvonne Lambert a décroché, à 15 ans, un premier emploi de secrétaire à la Centrale syndicale des mineurs, à Charleroi.  » J’ai grandi au milieu des combats pour la sécurité d’existence, pour le droit de vivre sans être humilié, pour le principe  » un homme, une voix ; une femme, une voix « . J’aimais les gens et les enfants.  » Mariée en 1926 à un Jeune Garde socialiste, Yvonne Lambert n’en a toutefois jamais eu.

Les réalisations dont elle est la plus fière ? Avoir participé à la création des Femmes prévoyantes socialistes (FPS) et à l’organisation des premières vacances ouvrières à la mer.  » Nos enfants avaient bien le droit d’échapper quelques jours à la misère, de connaître les joies des vacances comme les fils de bourgeois.  » Les yeux d’Yvonne pétillent encore de révolte, à l’évocation des  » rivageuses « , ces femmes contraintes de ramasser du charbon sur le  » rivage  » de Roux, lorsque la famille était trop nombreuse ou que le mari malade ne ramenait pas de quinzaine à la maison.  » Nous, aux FPS, on voulait que la femme s’élève. On essayait de la pousser à réfléchir qu’avec le syndicat, la mutuelle, en s’associant, on était plus forts.  »

Mais les femmes mordaient difficilement à l’hameçon, hésitaient à quémander l’autorisation du mari. Parfois, dans la rue, quand les recruteuses des FPS faisaient du porte-à-porte, on entendait crier en wallon :  » Va z-è fé t’soupe  » (Va faire ta soupe). Mais s£ur de combat de Marie Spaak, première sénatrice belge, ou d’Isabelle Blume, autre élue socialiste de la première heure, Yvonne Lambert n’a jamais perdu la foi :  » Peu à peu, les patrons ont dû tenir compte de la force ouvrière. Les hommes et les femmes ont besoin de manger dans toutes les couches sociales.  » En 1955, cette députée a encore déposé une proposition de loi  » concernant l’égalité de rémunération de la main-d’£uvre masculine et féminine pour un travail de valeur égale « . Un combat qui continue.

D.K.

 » J’ai grandi au milieu des combats pour la sécurité d’existence, pour le droit de vivre sans être humilié… « 

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