La croisière s’évade

Emmanuel Paquette Journaliste

EXCLUSIF Depuis six ans, le propriétaire du Costa Concordia ne paie ni TVA ni impôt sur les sociétés en France. Des méthodes qui lui ont valu une perquisition de la brigade financière au siège tricolore du groupe.

Le paquebot Costa Concordia gît depuis un an dans la Méditerranée, près de la côte toscane, mais son propriétaire a su conserver son argent bien au sec. En l’espace de six ans, la société Costa Croisières, qui opère dans plusieurs pays européens, n’a payé ni TVA ni impôt sur les sociétés en France. Les as de l’optimisation fiscale tels que Google, Microsoft ou encore Facebook ont trouvé leur maître. De quoi passablement irriter la brigade financière, qui, selon nos informations, a réalisé une perquisition au siège français de l’entreprise, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), en juillet 2012.

 » Leur démarche a été motivée par notre changement de statut de filiale à celui de succursale, en 2006 « , explique une porte-parole de Costa Croisières. Cette modification n’a rien d’anodin, puisqu’elle permet de faire remonter vers la maison mère, basée à Gênes, la totalité du chiffre d’affaires enregistré dans l’Hexagone lors d’une vente réalisée soit directement sur Internet, soit via des revendeurs.  » Cette disposition est légale. Elle s’applique à toutes les entreprises maritimes ou aériennes en fonction d’accords européens signés entre les Etats. Il est évident que nous ne fraudons pas le fisc. Nous bénéficions d’un dispositif avantageux autorisé par la loi « , ajoute-t-elle.

Le groupe profite en Italie d’une très faible taxation forfaitaire en fonction du poids et de l’ancienneté des paquebots (taxe au tonnage). Ce système doit prendre fin en 2014, mais une demande de renouvellement aux autorités transalpines devrait lui permettre d’en jouir pour une nouvelle période de dix ans. Une bonne opération… sauf pour l’Etat français. Le manque à gagner pourrait donner lieu à un redressement de plusieurs centaines de millions d’euros sur les six dernières années.

Une incroyable croissance

Pour la seule année 2011, Costa dans son ensemble a affiché un chiffre d’affaires de 3,1 milliards d’euros, notamment grâce à ses deux principaux marchés, l’Italie et la France. Les Français, deuxième nationalité la plus représentée, avec quelque 200 000 passagers par an, pèsent dans la balancepour près de 10 %, soit environ 300 millions d’euros encaissés directement chez les Italiens. Le même procédé est utilisé pour les activités en Allemagne, où le groupe détient la marque Aida Cruises.  » La majorité des gains sont exemptés de l’impôt sur les sociétés en vertu du traité entre l’Italie et l’Allemagne « , indique Carnival, société mère de Costa Croisières, cotée aux Etats-Unis.

Pis encore, le manque à gagner risque de continuer à croître. Car le naufrage du Costa Concordia, en janvier 2012, occasionnant la mort de 32 personnes, suivi de l’incendie du Costa Allegra, au large des Seychelles, deux mois plus tard, n’a pas entamé l’appétit des consommateurs pour ces séjours sur mer. En 2011, pour la première fois, le cap des 20 millions de passagers a été franchi, et la France a même enregistré une croissance de 14 %, avec 441 000 clients. Pour l’année 2012, les promotions couplées aux mesures prises pour renforcer la sécurité sur les géants des mers ont, semble-t-il, permis d’éviter une dégringolade. Cela n’a pas empêché le n° 2 du secteur, Royal Caribbean Cruise Line, qui avait ouvert un bureau commercial il y a peu à Paris, de se séparer des deux tiers de ses effectifs à la mi-décembre 2012. Le groupe américain vient de passer commande d’un paquebot de type Oasis, long de 361 mè- tres, qui sera construit à Saint-Nazaire pour une livraison dans trois ans. L’évasion promise aux futurs clients est déjà une réalité pour certains croisiéristes. Sauf que pour eux, il s’agit d’une évasion… fiscale.

EMMANUEL PAQUETTE

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