La conspiration

Jacques Attali

En lisant un roman, les lecteurs cherchent, inconsciemment, à découvrir une recette pour vivre mieux leur propre vie et pour affronter plus efficacement leurs propres difficultés : ils veulent y trouver un méchant, une énigme, des meurtres, une quête, une histoire d’amour. En lisant un essai, les lecteurs cherchent à donner du sens à ce qui les environne, pour prédire le temps qui vient, flairer les risques d’y échouer et les moyens d’y réussir.

Quand un livre réussit à mêler les deux, en dévoilant une machination expliquant le sort du monde et dans laquelle se décide le destin de quelques personnages attachants, il tient la recette d’un très grand succès. C’est ce qui est arrivé à Harry Potter et au Da Vinci Code. L’un et l’autre racontent l’histoire d’une conspiration : celle de  » celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer- le-nom  » pour l’un ; et, pour l’autre, celle de celui dont le nom doit rester caché. L’un et l’autre roman dévoile aussi une grille cachée expliquant la réalité : par ce qui se déroule dans le monde invisible des sorciers pour l’un ; pour l’autre, par ce qui se trame dans les replis secrets d’une confrérie. L’un et l’autre constituent un affrontement simple et brutal entre le Bien et le Mal.

Dans la réalité, le monde est de plus en plus anarchique, absurde, imprévisible, inexplicable. Le Bien et le Mal se mêlent de façon inextricable. Pour beaucoup, ce chaos n’est tolérable que si l’on réussit à y introduire le même ordre que dans les romans à succès : l’ordre de la conspiration. Plus un groupe humain est privé de moyens d’agir sur le réel, plus il a besoin de croire qu’une conspiration le menace. Moins il se sent capable de lutter contre sa propre aliénation, plus il a besoin de désigner un bouc émissaire. Plus il refuse d’admettre que la réalité n’est que le point de rencontre réalisé d’une infinité d’événements improbables, plus il cherche, derrière les événements les plus complexes et les plus erratiques, un responsable.

Ainsi naquirent les pires théories, dont souffrirent les nations en déclin. Elles resurgissent, à présent, au détour des romans et des faits divers. En particulier, dans l’Europe d’aujourd’hui, tout se met en place pour que renaissent de tels fantasmes. Les partis extrêmes les portent avec délice ; mille et un scandales les entretiennent. Pour les écarter, il faut d’abord ne pas oublier comment se terminent ces romans : par l’apocalypse. l

jacques attali

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