La brigade des potagers

Michel Delwiche
Michel Delwiche Journaliste

Caroline et Jean-Charles ont visité 195 potagers de Wallonie et ont emporté des paniers pleins de légumes. Nom de code de l’opération : Pollusol 2. Les fruits de la terre seront analysés avec pour objectif de détecter d’éventuelles traces de pollution dans les jardins situés dans des régions de vieille industrie.

Des salades, des haricots verts, des carottes et des pommes de terre : c’est la récolte de Caroline Ducobu et de Jean-Charles Bergen, ingénieure et technicien au laboratoire de géopédologie de Gembloux Agro-bio Tech (anciennement les Facultés agronomiques). Ils ont, en outre, emporté des échantillons de sol, sous l’£il attentif et bienveillant de M. Pétry, propriétaire des lieux et maître de ce potager à Châtelet.

 » Ma fille avait appris par la télé que l’on recherchait des volontaires, explique M. Pétry, et nous avons trouvé qu’il était intéressant de participer à cette enquête. A la belle saison, depuis plus de quarante ans, nous ne mangeons que les légumes du jardin. En principe, ils sont meilleurs que ceux qu’on achète ; d’ailleurs question goût, il n’y a pas photo. « 

L’actif retraité n’est pas le roi des composés chimiques.  » Le seul engrais que j’utilise, dit-il, c’est du fumier séché de vache et de poule que j’achète dans une jardinerie. Pour le reste, un peu de calcaire en hiver pour faire remonter le PH perturbé par les pluies acides, et des algues marines.  » Et pour lutter contre les insectes, le purin d’ortie maison.

Charbon, acier, chimie

Mais le jardin, implanté au pied d’un terril, à un jet de pierre des anciennes installations de Solvay et en surplomb des anciennes aciéries de Hainaut-Sambre aujourd’hui disparues, est situé au c£ur d’une région de vieille industrie. Il y a quelques dizaines d’années, lorsque l’on reprenait les draps mis à sécher dehors, il n’était pas rare de les retrouver constellés de taches de rouille, et il valait mieux soigneusement essuyer la suie des sièges de jardin avant de s’asseoir. Tout cela a-t-il laissé des traces ?

 » J’ai déjà prélevé des échantillons de terre, que j’ai fait analyser dans la jardinerie, répond M. Pétry, mais je me suis assez vite rendu compte, en laissant traîner mes oreilles, que le seul but y était de recommander l’achat de certains produits : tous les résultats étaient les mêmes, alors que certains étaient venus pour la pelouse, d’autres pour les légumes ou les patates…  » Alors, des analyses sérieuses, ça ne peut pas faire de mal.

Rassurer les gens

Les prélèvements comme ceux de Châtelet, l’équipe de Gembloux en a effectué dans 194 autres jardins situés dans les zones urbaines et industrielles de Liège (à Seraing), Mons (à Colfontaine) et Charleroi (à Châtelet, Gilly, Ransart et Montignies-sur-Sambre). Le but est d’analyser les produits des potagers, le sol et éventuellement l’eau des citernes afin de vérifier l’absence ou, au contraire, de détecter la présence de pollutions.

 » Nous avons pris des échantillons de différentes catégories de légumes, explique Caroline Ducobu, parce qu’ils accumulent les nutriments et les polluants, de manière spécifique. Nous avons ainsi emporté des légumes feuilles comme les salades, des légumes fruits comme les haricots, et des légumes racines, carottes et pommes de terre. Tout cela a été envoyé dans des laboratoires, et les résultats vont pouvoir maintenant être analysés. « 

Début 2010, les jardiniers pourront prendre connaissance des résultats.  » Il est évident que s’ils faisaient apparaître une pollution importante, les risques pour la santé seront analysés et les autorités communales prévenues, précise Julie Leclercq, responsable du projet à la Spaque (Société publique d’aide à la qualité de l’environnement). Notre premier objectif est de rassurer les gens, et parfois de leur donner des leçons simples de gestion du sol, et quelques conseils élémentaires, comme de veiller à bien laver ou peler les légumes. Ou encore d’expliquer qu’une eau de pluie récoltée après avoir ruisselé sur un toit en zinc risque de contenir une quantité anormale de ce métal, de même que la fameuse bouillie bordelaise, utilisée pour, par exemple, prévenir le mildiou des tomates, peut laisser des traces de sulfate de cuivre… « 

D’autres potagers seront visités la saison prochaine, toujours dans l’ancien sillon industriel Haine-Sambre-Meuse-Vesdre : le Couchant de Mons (Borinage), le Centre, la région de Charleroi, la vallée de la Meuse entre Namur et Liège, l’agglomération liégeoise, Verviers, la vallée de la Vesdre et la Gaume-Lorraine.

Des échantillons de sol sont également prélevés dans des prairies, des pelouses, des champs et des forêts, de même que des échantillons d’eau dans les puits existants et les citernes d’eau de pluie, ou par forages, le cas échéant profonds (de 40 à 50 mètres).

Pour compléter Pollusol 1

Cette campagne s’inscrit dans le cadre d’une vaste enquête scientifique, Pollusol 2, commanditée par la Spaque et confiée aux universités (Gembloux, Liège, Louvain et Mons) et qui a pour objectif d’étudier les sols wallons qui ont historiquement été soumis à l’influence des activités humaines. Sont ainsi recherchées les traces de métaux, de métalloïdes et de HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques), des polluants organiques qui résultent de la combustion : feux de forêts ou de cheminée, rejets de l’industrie et échappements des véhicules…

Pollusol 2 va continuer sa collecte et va ensuite cartographier toutes ces données. Ce travail viendra en complément des résultats de la campagne Pollusol 1, menée en 2007, et qui avait pour but, elle, d’établir les concentrations de fond des sols wallons en métaux lourds, c’est-à-dire la présence naturelle, ou due à une pollution diffuse, de ces métaux. Pollusol 1 avait effectué 200 prélèvements dans toute la Wallonie, à l’exception des zones d’anciennes industries. Les résultats doivent servir de valeurs de référence pour l’application du nouveau décret sol. L’administration doit pouvoir dire que, ici ou là, une concentration importante en zinc, en plomb ou en arsenic est normale ou non. Avec les deux enquêtes, l’ensemble du territoire aura été analysé, et pour chaque point du sol wallon, il sera possible d’établir des concentrations habituelles, et, à partir de là, de localiser des dépassements significatifs, indices d’une pollution nécessitant l’intervention des autorités.

MICHEL DELWICHE

une cartographie des polluants dans le sol wallon

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