L’ homme-arbre

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Le 1er janvier, Claude Rolin deviendra secrétaire général de la CSC. Une ascension quasi naturelle pour cet Ardennais rebelle, militant de la première heure

Pour garder au chaud un peu de la mousse d’Orval qu’il apprécie tant, sa moustache est parfaite. En revanche, pour les vins qu’il affectionne… Dommage. Car Claude Rolin est un gourmand. Un boulimique. Il dévore avec la même ardeur les livres, les kilomètres et le temps. Le prochain secrétaire général de la CSC, le syndicat chrétien, est un brasero, qui brûle, à l’intérieur, d’un besoin éperdu de passion et d’une révolte que rien n’apaise. Le feu a pris de l’ampleur avec les années. Lorsqu’il était enfant, défenseur de l’environnement à une époque où presque personne ne l’était, seules les attaques perpétrées contre la nature le mettaient hors de lui. D’autres colères se sont allumées, au fil du temps : adolescent, il rejoint les mouvements pacifistes et tiers-mondistes. La fermeture de l’usine sidérurgique de Athus, dans le Luxembourg où il vit, et le renversement de Salvador Allende, au Chili, en 1973, achèvent de le convaincre qu’il est des réalités inacceptables contre lesquelles on doit se dresser. Dont acte.

A 17 ans, Claude Rolin, élève indiscipliné et turbulent, abandonne ses études et quitte le cocon familial. Il prend des risques.  » Sans certaines rencontres, dit-il, je ne sais pas ce que je serais devenu.  » Enraciné dans la terre des Ardennes, il sera, logiquement, bûcheron. Puis poseur de billes de chemin de fer et man£uvre dans le secteur du bâtiment. Puis chômeur, de longue durée.  » Il sait ce que c’est que de chercher un travail « , relève Jean-Marie Constant, secrétaire fédéral de la CSC Namur- Dinant. Oui, il sait. Ce qui lui donne un incontestable crédit, renforcé par son évident passé de militant engagé. Il créera d’ailleurs un comité local de jeunes chômeurs CSC, à Arlon.

A l’époque – nous sommes à la fin des années 1970 – il rue toujours dans les brancards. Mais il impressionne ceux qui le croisent par sa maîtrise de l’argumentation et sa capacité à s’exprimer clairement sur des questions complexes et essentielles. Fin nez, un responsable du MOC (Mouvement ouvrier chrétien) lui remet les pieds à l’étrier scolaire. Claude Rolin entre à l’Institut supérieur de culture ouvrière, où il décroche un graduat en sciences sociales du travail, puis à la Fopes (Faculté ouverte de sciences politiques, économiques et sociales). Il y rédige un mémoire consacré au rôle essentiel du permanent syndical interprofessionnel. Un signe ?  » Ces études n’ont pas apaisé ma révolte, dit-il. Mais elles m’ont fourni des outils pour agir et tenter de changer le monde. J’ai l’incroyable chance de pouvoir le faire. Au point que, par moments, j’en viens à penser que mon travail à la CSC n’est pas un travail.  »

Ensuite ? Le bonhomme gravit tous les échelons. Pragmatique et obstiné comme les gens de la terre. Rusé. Et capable de choisir les chemins de traverse s’ils lui permettent d’atteindre son but.  » Il prend le temps nécessaire pour fixer ses idées. Mais une fois que c’est fait, il ne lâche pas le morceau tant qu’il n’a pas obtenu ce qu’il veut « , explique Victor Billon, ancien patron de L’Oréal-Libramont et représentant de l’Union wallonne des entreprises dans le Luxembourg.

Formé dans cette province qui paie sans cesse le prix de sa petite taille, exclue de la guerre fratricide entre les grands bassins industriels, Claude Rolin sait mieux que quiconque que le compromis constitue la meilleure des solutions, dans l’intérêt de tous. Le compromis au sens noble du terme, qui se construit sur des intérêts opposés et jamais sur le plus petit commun dénominateur. Alors, il rencontre les gens, qu’il tutoie très vite, respectueusement. Il discute – d’ailleurs, il est bavard. Il écoute. Il pèse les arguments et remet sa méthode en cause si elle est inopérante. Puis il fédère.  » Il est très fort pour tirer des synthèses politiques des réunions et préparer, sur cette base, un programme d’actions concrè-tes « , explique Bruno Antoine, qui lui a succédé au poste de secrétaire fédéral de la CSC Luxembourg. Plutôt jovial, il est habitué à travailler en équipe et… sur ordinateur. Ce qui ne l’empêche pas d’occuper quatre places aux tables de réunion pour étaler tous ses documents, classés dans un ordre qu’il est le seul à comprendre.

Claude Rolin est un homme calme. Pas un caramel mou. S’il est vrai qu’il n’est pas prompt à monter sur les tables pour haranguer les foules, il peut le faire si c’est nécessaire. Comme il peut se mettre en colère quand la malhonnêteté intellectuelle de ses interlocuteurs vient à bout de sa résistance. Lorsqu’il est vraiment fâché,  » ça se voit à la couleur de ses oreilles « , rapporte un de ses proches. Sinon, il est plutôt patient, comme le sont les pêcheurs. Il faut le voir se pencher, du haut de sa gigantesque carcasse, sur les appâts qu’il prépare dans son atelier, avant de partir à la pêche à la mouche ! L’homme ne dort pas beaucoup. Les heures qu’il ne consacre pas à son mandat syndical vont prioritairement à sa famille.

Le 1er janvier, donc, cet adepte du vélo et de la course à pied succédera à Josly Piette pour codiriger, avec le président Luc Cortebeeck, le syndicat le plus puissant du pays.  » Il sait où il met les pieds et il est assez intelligent pour s’adapter à sa nouvelle fonction « , assurent ses amis. Aucun d’entre eux ne s’étonne de sa nomination.  » Sa rigueur et sa force de conviction nous ont fait penser depuis longtemps qu’il accéderait naturellement à cette fonction « , explique Marc Becker, secrétaire fédéral à la CSC-Mons. Avec un vrai projet syndical de gauche.  » Je ne suis ici ni par sens du sacrifice, ni dans le souci d’assurer mon plan de carrière, précise Claude Rolin. Sans la demande du mouvement, je n’aurais pas postulé. Mais j’ai, un jour, fait le choix de l’engagement syndical…  »

Atypique, Claude Rolin peut citer Marx textuellement. Passer trois heures en prison, après avoir été embarqué par un policier de Virton, sur un piquet de grève. Et se présenter à chacun des rendez-vous fixés dans son agenda surchargé. Le sens de la parole donnée…

 » Il est un peu particulier, résume Jean-Claude Vandermeeren, le secrétaire général de l’aile wallonne de la FGTB. On le sent plus proche de nous que d’autres, à la CSC. C’est déjà et ce sera encore un fervent partisan du front commun syndical.  » Sans aucun doute. D’ailleurs, Claude Rolin est daltonien. Ça aide, pour confondre le vert et le rouge.

Laurence van Ruymbeke

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