Jazz à tous les étages

Peinture et cinéma, photographie ou littérature : avec Le Siècle du jazz, le musée parisiendu Quai-Branly rappelle que ce genre musical a coloré tous les autres arts. Chorus.

Photo

Aucune autre musique que le jazz n’a été tant photographiée. Il ne reste aucun enregistrement d’un musicien légendaire comme  » Buddy  » Bolden, mais il existe de lui un portrait daté de 1900. Louis Armstrong le gardait sur sa table de chevet. Carl Van Vechten, l’une des figures majeures de la Harlem Renaissance, a, lui, réalisé, dans les années 1930-1940, une série de portraits de Billie Holiday et de Bessie Smith, les faisant poser à côté de masques africains. Le jazz a également influencé le photographe Roy DeCarava :  » Ce que je veux distiller dans mes images est une pulsation rythmique, un swing visuel. « 

Une scène du roman Invisible Man, de Ralph Ellison, a inspiré à Jeff Wall l’une de ses plus belles compositions. Il montre le héros noir d’Ellison réfugié dans une cave. Ecoutant en boucle Louis Armstrong chanter What Did I Do to Be So Black and Blue ?, l’homme a suspendu au plafond 1 369 ampoules pour être, enfin,  » visible « . En 1959, le photographe californien William Claxton sillonne les Etats-Unis pour réaliser un reportage sur la note bleue et déclare :  » Le jazz est la musique la plus photogénique qui soit. Sans doute parce que, comme la photographie, elle repose sur l’improvisation. « 

Cinéma

Dans une petite salle sont projetées des images du Chanteur de jazz, premier film parlant de l’Histoire. Parmi les extraits qui témoignent du statut des Noirs dans le cinéma américain : New Orleans, où Billie Holiday est rabaissée au rôle de soubrette, ou High Society, dans lequel Louis Armstrong sert de faire valoir à Bing Crosby. En revanche, une séquence de Swingtime montre un magnifique hommage que Fred Astaire rend à son idole, le danseur de claquettes noir Bill Robinson. Astaire danse en tentant d’imiter les pas de Robinson, dont l’ombre est projetée sur un grand écran.

Fondu enchaîné sur une séquence de La Nuit, de Michelangelo Antonioni. Jeanne Moreau et Marcello Mastroianni laissent Monica Vitti en larmes dans une chambre. C’est l’aube et un orchestre de jazz joue dans le jardin. Antonioni racontait que cette musique avait été le fil conducteur de la scène. Egalement, la scène d’ouverture du Shérif est en prison, de Mel Brooks : le visage d’un cow-boy noir habillé comme une gravure de mode, sur fond de musique, le cadre s’élargit et l’orchestre de Count Basie apparaît jouant en plein désert.

Parcours

Telle une grande fresque, Le Siècle du jazz réunit, sur près de 2 000 mètres carrés, un millier d’£uvres venues du monde entier. Le parcours s’articule chronologiquement autour d’une timeline (ligne de temps), au cours de laquelle sont exposées 70 toiles (de Pollock à Bearden), photographies, affiches et partitions illustréesà 40 sources sonores accompagnent ce voyage, où les £uvres se répondent comme dans un jeu de miroirs.

Le Siècle du jazz, musée du Quai-Branly, Paris (VIIe). Du 17 mars au 28 juin.

Littérature

L’exposition montre un article du San Francisco Chronicle daté de 1913 et titré In Praise of Jazz. Pour la première fois, le mot  » jazz  » est imprimé sur papier. Pourtant, l’auteur emploie ce terme non pour désigner un genre musical, mais pour décrire un état d’esprit, synonyme d’énergie, de virilité, de courage. L’un des premiers à parler de jazz dans ses £uvres est le poète et romancier Langston Hughes. La structure de ses poèmes Jazzonia ou Harlem Night Club s’inspire de la syntaxe du jazz. En 1947, Hughes crée, avec Kurt Weill, la comédie musicale Street Scene. Onze ans plus tard, il improvise des poésies au Village Vanguard, accompagné à la contrebasse par Charles Mingus.

Parmi les centaines d’ouvrages présentés, on retient les recueils de nouvelles de Paul Lawrence Dunbar, dont des pans entiers ont été repris, en 1935, dans Afro-American Symphony, un opéra jazz-classique de William Grant Still. A découvrir chez les contemporains Maya Angelou, une écrivaine méconnue en Europe. Le titre de son roman autobiographique Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage a été choisi par son amie la chanteuse Abbey Lincoln. Une écriture rythmée comme un negro spiritual, poignante comme le jazz, drôle et étourdissante comme un numéro de claquettes. « 

Peinture

Miles Davis était passionné par la peinture de la Harlem Renaissance, premier mouvement culturel américain Black, dans les années 1920. Le Siècle du jazz permet de découvrir plusieurs de ces figures emblématiques, comme Archibald Motley ou Aaron Douglas. Excellent dessinateur, Douglas a illustré des ouvrages tels que Magie noire, de Paul Morand. Passionné de jazz, il s’inspire des clubs de Harlem, dont il reproduit l’atmosphère. Dans ses tableaux, les musiciens apparaissent comme des ombres dansantes, sur des arrière-plans évoquant la brousse africaine.  » Les peintres de cette époque ont tous une formation académique, raconte Daniel Soutif, commissaire de l’exposition. Ils s’inspirent des maîtres européens. « 

A leur tour, ces artistes noirs américains ont influencé des Européens, comme Fernand Léger, qui a consacré de nombreux tableaux au jazz. Ou Otto Dix, dont le magnifique Metropolis est exposé au musée du Quai-Branly. Parmi les découvertes de cette rétrospective, l’artiste conceptuel David Hammons, auteur de Chasin’the Blue Train, une installation consacrée à John Coltrane. Enfin, Jean-Michel Basquiat, présenté sous un angle inédit : passionné de jazz, il a peint plus de 30 toiles en hommage à Charlie Parker ou à Billie Holiday, dont certaines réalisées avec Andy Warhol.

Paola Genone

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