Israël requinqué, Palestine déprimée

Le dénouement de la guerre en Irak suscite des sentiments exactement opposés. La chute de Saddam facilitera-t-elle pour autant la reprise du processus de paix ? Il y a loin de la coupe aux lèvres

De notre correspondant à Tel-Aviv

Intoxiquée par ses propres espérances, la rue palestinienne pensait que l’Irak résisterait longtemps aux bulldozers anglo-américains. Et que la garde républicaine de Saddam Hussein transformerait le pays en un  » nouveau Vietnam « . L’effondrement rapide du régime de Bagdad et la désertion de bon nombre de soldats ont plongé la Cisjordanie et la bande de Gaza dans le désarroi. Car, à tort ou à raison, les Palestiniens considéraient Saddam Hussein comme l’un de leurs principaux soutiens. Depuis le déclenchement de la deuxième Intifada, le Front de libération arabe (FLA), filiale régionale de l’ex-parti unique irakien Baas, n’avait d’ailleurs pas ménagé ses efforts pour vanter les gestes du raïs en faveur des Palestiniens. Envoi de vivres et de médicaments, distributions médiatisées de fonds aux familles des auteurs d’attentats-suicides : rien n’était trop beau pour montrer que Saddam Hussein soutenait la cause palestinienne.

L’illusion n’a pas duré bien longtemps. Désormais, déçus par l’effondrement militaire irakien et par l’inertie des autres pays arabes, les Palestiniens ont l’impression de se retrouver de plus en plus seuls face à Israël, alors que les Etats-Unis annoncent la publication de la  » feuille de route « . Elaboré par le  » Quartet  » (Nations unies, Union européenne, Etats-Unis, Russie), endossé à l’automne dernier par le président américain qui a promis de le faire appliquer, ce plan est une sorte de guide censé aider l’Autorité palestinienne (AP) et l’Etat hébreu à sortir le processus de paix de l’ornière où il gît depuis deux ans et demi. Pour cela, il prévoit une série d’étapes parmi lesquelles le gel de la colonisation des territoires occupés par Israël, l’arrêt des violences palestiniennes, la levée progressive des mesures israéliennes de bouclage, la reprise en main des villes palestiniennes par les services de sécurité de l’AP ainsi que la création d’un Etat palestinien provisoire en 2005.

En principe, Ariel Sharon et Yasser Arafat ont accepté de jouer le jeu. Mais Washington, qui a déjà reporté à plusieurs reprises la publication de ce plan, affirme désormais attendre la constitution du cabinet palestinien dirigé par le nouveau Premier ministre Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen. Or, le torchon brûle entre ce dernier et Yasser Arafat. Car le Premier ministre, considéré comme un interlocuteur  » acceptable  » par Israël et par les Etats-Unis, alors qu’Arafat ne l’est plus depuis longtemps, entend démilitariser l’Intifada. En outre, il veut nommer plusieurs ministres réformistes et écarter les proches d’Arafat des postes clés du nouveau cabinet.

Accroché aux dernières parcelles de son pouvoir, le président palestinien s’oppose ouvertement aux réformistes. Il refuse, par exemple, de nommer l’ex-chef du Service de sécurité préventive de la bande de Gaza, Mohamad Dahlan, auquel Abou Mazen propose le portefeuille de l’Intérieur. Parce que Dahlan ne ménage plus depuis longtemps ses critiques à l’égard du fonctionnement autocratique de l’AP – ce qui lui a valu de perdre son poste de chef de la sécurité de la bande de Gaza – et parce que la fonction de ministre de l’Intérieur implique un contrôle direct sur toutes les polices et les services spéciaux palestiniens censés rétablir l’ordre dans les villes lorsque celles-ci auront été évacuées par l’armée israélienne. Or, pour l’heure, cette mission est confiée à Hani el-Hassan, un proche d’Arafat que la rumeur n’a jamais crédité d’une personnalité très affirmée, et qui n’a pas beaucoup brillé depuis son entrée en fonction, il y a six mois.

Autre réformateur rejeté par le président palestinien : le député palestinien Nabil Amr, qui avait démissionné du gouvernement il y a un an en dénonçant publiquement la corruption régnant dans l’entourage d’Arafat et en exigeant la création d’un poste de Premier ministre ainsi qu’un meilleur contrôle de l’aide financière accordée par l’Union européenne.

Ostracisé par Arafat, qui refuse désormais de l’embrasser sur le front (alors qu’il le fait à tout le monde, y compris aux inconnus de passage dans son QG de Ramallah), Amr est candidat au portefeuille de l’Information. Or, celui-ci est actuellement attribué à Yasser Abed Rabo, un autre fidèle du président de l’AP, qui serait alors rétrogradé au rang honorifique de  » ministre d’Etat « . Un sort également réservé au ministre des Collectivités locales, Saeb Erekat, autre homme de confiance d’Arafat, qui est à la fois le principal négociateur palestinien avec Israël et l’éminence grise du président palestinien en matière de relations internationales.

Pour les spécialistes du fonctionnement de l’AP, l’écartement annoncé de Yasser Abed Rabo et de Saeb Erekat (les deux hommes ont annoncé qu’ils refuseraient un portefeuille sans compétence effective) signifie qu’Abou Mazen entend exercer ses fonctions sans subir la pesante tutelle de la garde rapprochée du président. Et qu’il veut gérer en personne la reprise des négociations avec Israël lorsque la  » feuille de route  » sera publiée.

Présentant le 13 avril son équipe de 20 membres devant le comité central du Fatah, réuni à Ramallah en séance exceptionnelle et en présence d’Arafat, Abou Mazen s’est évidemment heurté au refus des proches du président. Pour calmer le jeu, il a alors proposé de garder sous sa coupe les attributions les plus sensibles du ministère de l’Intérieur (les services spéciaux) et de créer pour Dahlan un nouveau  » ministère des Affaires intérieures  » aux compétences beaucoup moins étendues. Mais cela n’a pas servi à grand-chose : au cours des débats houleux qui ont suivi, Arafat a s’est estimé  » insulté et provoqué  » par son ancien ami.

A Jérusalem, Ariel Sharon et son entourage suivent évidemment ces développements de près. Estimant que  » l’effondrement de l’Irak ouvre de nouvelles perspectives de paix dans la région « , le Premier ministre de l’Etat hébreu répète qu’il serait prêt à faire des  » concessions douloureuses  » en échange de la paix avec les Palestiniens. Il évoque également l’évacuation de quelques petites colonies juives en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Mais, dans le même temps, il soumet la reprise des négociations avec l’AP à l’arrêt complet des violences palestiniennes, ce qui semble impossible tant que Tsahal occupe une partie des territoires autonomes et que la colonisation se poursuivra.

Alors qu’il affirme accepter la  » feuille de route « , Sharon a envoyé son chef de cabinet, Dov Weissglass, à Washington afin d’y présenter une quinzaine d’objections au plan américain. La plus importante d’entre elles est le refus de la simultanéité entre les mesures que devraient prendre les Palestiniens et celles que devraient appliquer les Israéliens. Pour l’Etat hébreu, l’AP devrait en effet prouver qu’elle combat effectivement le terrorisme – et qu’elle y parvient -, avant de commencer à discuter du gel de la colonisation. Mais, pour les promoteurs du plan de paix, chacune des deux parties doit avancer en même temps. Et ne pas commencer à couper les cheveux en quatre, comme le font habituellement les Israéliens pour tenter de gagner du temps.

En supposant que Washington arrive à imposer le principe de la simultanéité à l’Etat hébreu, d’éventuelles négociations de paix ne reprendront sans doute pas avant longtemps. Car, Abou Mazen aura besoin de plusieurs mois pour imposer sa volonté sur l’administration palestinienne et remettre de l’ordre dans les territoires, Ariel Sharon risque, de son côté, de perdre rapidement sa majorité parlementaire lorsqu’il s’agira de discuter de l’arrêt de la colonisation et du démantèlement de certaines implantations. Déjà, les nationaux-religieux du Mafdal (les représentants des colons) et les extrémistes de droite d’Union nationale ont fait savoir qu’ils quitteraient le gouvernement sur-le-champ si de telles options devaient être envisagées. Bien sûr, Sharon les remplacera alors par le parti travailliste d’Amram Mitzna, trop heureux de retrouver le pouvoir. Mais tout cela aura encore fait perdre quelques mois : George Bush, plongé dans la campagne pour les élections présidentielles de 2004, aura sans doute d’autres problèmes plus immédiats à traiter.

Serge Dumont

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