» Il y a plusieurs degrés d’intensité dans l’intolérance au gluten « 

Pour Vincent Castronovo (ULg), professeur de biologie et spécialiste en médecine nutritionnelle, de nombreux troubles ont pour origine une dégradation de l’intestin liée à la consommation de gluten.

Médecin spécialiste en gynécologie obstétrique et figure emblématique de la recherche en cancérologie, Vincent Castronovo est professeur de biologie générale et cellulaire à l’Université de Liège. Il donne, depuis quinze ans, des cours de formation en médecine nutritionnelle et fonctionnelle, lors desquels il insiste sur le rôle central de l’intestin dans la santé. Selon lui, de nombreux troubles ont pour origine l’hyper-perméabilité de la muqueuse intestinale, phénomène appelé par les Anglo-Saxons le leaky gut syndrome, et l’ingestion de gluten.

Le Vif/L’Express : Pour quelles raisons de plus en plus de consommateurs seraient-ils intolérants au gluten ?

Vincent Castronovo : L’industrie agroalimentaire ajoute volontiers du gluten dans les aliments pour augmenter leurs propriétés gastronomiques. Le gluten donne son élasticité au pain, du  » mou  » à la mie. Donc, le gluten, avec sa connotation agréable, encourage à la consommation. Par ailleurs, la population occidentale digère de moins en moins bien, car elle mange trop vite. Elle ne mastique pas assez et elle est souvent en état de stress. Dès lors, les premières étapes de la digestion, au niveau de l’estomac, sont court-circuitées. Ainsi, les gliadines et les gluténines, protéines du gluten, sont moins facilement digérées et arrivent intactes dans l’intestin, comme d’autres protéines alimentaires d’ailleurs. Les prédictions sur l’intolérance alimentaire sont pessimistes : d’aucuns prévoient que, d’ici à 2050, près de 50 % de la population occidentale sera allergique à des protéines alimentaires !

Vous prônez le retour à une alimentation  » paléolithique  » ?

En tout cas, à une alimentation proche de celle du paléolithique : deux tiers de fruits et légumes, et un tiers de produits d’origine animale, dont 50 % de poissons gras. On est loin du compte ! Notre génome est quasiment le même que celui du chasseur-cueilleur d’il y a dix mille ans, mais notre alimentation, elle, a divergé de plus de 90 % par rapport à celle de la préhistoire. Ainsi, depuis des millénaires, on a croisé et recroisé le blé, notamment pour qu’il soit plus facile à transformer en farine. On a sélectionné des types de froments toujours plus riches en gluten. Avec, pour conséquence, un décrochage entre notre consommation et notre physiologie.

Quel rôle joue le gluten dans les troubles intestinaux ?

L’intolérance au gluten, qui peut, dans les cas extrêmes, aboutir à la maladie coeliaque, est due à la pénétration, à travers l’intestin, de molécules de gluten non digérées. L’intestin représente la barrière la plus vulnérable de notre corps. Sa surface se renouvelle toutes les trente-six heures et fait 1 000 mètres carrés sur une épaisseur de 25 millionièmes de mètre. De quoi recouvrir la surface d’un terrain de tennis ! La plupart de nos maladies dites de civilisation ou émergentes naissent donc au niveau de nos intestins. En outre, notre système immunitaire est en perpétuelle situation de défense contre des agressions. Dès qu’il reconnaît l’  » ennemi « , le gluten ou toute autre protéine étrangère qui a traversé la barrière, il produit des anticorps. La  » guerre  » menée par ces anticorps crée une inflammation du tube digestif. Les protéines mal digérées stimulent la prolifération de bactéries de putréfaction nocives, qui génèrent des petits trous dans la paroi intestinale. C’est un cercle vicieux : plus il y a d’inflammation, plus il y a de lésions et plus le processus s’amplifie. Les anticorps anti-gluten s’attaquent à l’intestin, d’où une réaction en chaîne qui peut aboutir, dans certains cas, à la destruction de l’organe.

Il y a une controverse dans le milieu médical autour de l’hypersensibilité au gluten. Quelle est votre position ?

Il faut adopter une médecine qui repose sur le bon sens. Peu nombreux sont, encore aujourd’hui, les médecins qui prennent la mesure des graves conséquences que peut avoir l’alimentation sur la santé. Beaucoup n’ont pas vraiment de culture en la matière. Pour eux, tout est noir ou blanc : ou on souffre de la maladie coeliaque, forme la plus grave de l’intolérance au gluten, ou on n’a rien de sérieux. Or, en biologie, il y a aussi toutes les nuances de gris. Bien sûr, seule une petite partie des patients dont l’intestin est agressé par le gluten vont développer la maladie coeliaque, notamment à cause de leur héritage génétique. Pour les autres, nous observons des variations graduelles dans l’hypersensibilité au gluten.

N’est-ce pas précisément à ce niveau qu’il y a débat ?

En effet, et ce débat sera peut-être résolu quand nous pratiquerons une médecine plus personnalisée, fondée sur notre identité poly-morphogénétique. Il y a une sensibilité immunitaire au gluten à des degrés divers, de modérée à forte. Autrement dit, chez certains patients, les anticorps anti-gluten ne provoquent que des altérations modérées. Il y a aussi une intolérance sans signes cliniques et une sensibilité latente si le patient consomme peu de gluten.

Vos confrères sont nombreux à mettre en doute l’utilité des tests IgG pour diagnostiquer des intolérances alimentaires.

Des études scientifiques respectables et sérieuses prouvent cependant leur intérêt. Au moins 50 % des colopathies fonctionnelles, dites  » syndrome du côlon irritable « , sont dues à l’intolérance au gluten. Certains migraines et 14 % des cas de psoriasis sont dus à la présence d’anticorps IgG dirigés contre le gluten ingéré. Ce n’est pas anodin. Une intolérance au gluten qui aggrave la faiblesse de la paroi intestinale, ce que l’on appelle le leaky gut syndrome, peut créer un état d’inflammation permanente avec risque d’obésité et de dépression chez les enfants et les adolescents.

Que penser des bilans biologiques coûteux recommandés à des patients qui souffrent de troubles mineurs de la digestion ?

Ces tests ne sont pas coûteux en eux-mêmes, car ils sont complexes, mais ils coûtent cher aux patients parce qu’ils ne sont pas encore remboursés par la Sécurité sociale. Bien d’autres analyses, parfois moins utiles mais remboursées, sont, elles, coûteuses à la société, pas au patient. Mais il est vrai que certains médecins, qui prescrivent un screening de 100 à 150 aliments pour diagnostiquer des intolérances, ne savent pas toujours interpréter les résultats et vous interdisent sans nuance de trop nombreux aliments.

Y aura-t-il un jour un terrain d’entente entre ceux qui font grand cas de la sensibilité au gluten et ceux qui y voient un fourre-tout obscur ?

Je l’espère, mais j’en doute. Les deux camps sont fâchés l’un contre l’autre. La plupart des médecins ignorent les effets sur la santé du syndrome de l’intestin hyper-perméable. A l’autre extrême, certains ayatollahs de la médecine nutritionnelle voient dans le gluten la cause de tous les maux. La vérité se trouve certainement entre ces deux points de vue. Si un patient qui présente des symptômes inexpliqués est amélioré par une diète qui réduit le gluten, il me semble raisonnable, qu’il ait ou non des anticorps contre ces protéines, de conseiller à ce patient de continuer à éviter le gluten. Précisons : seule une petite partie de la population doit faire attention à sa consommation de pain, de pâtes et autres produits contenant du gluten. Ces personnes n’ont pas la tâche facile : le gluten est omniprésent dans nos magasins et restaurants, dans les sauces et les plats préparés.

Entretien : Olivier Rogeau

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