Idées

Quelle est la logique politique des revendications flamandes à Bruxelles ?

Autrement dit, en vertu de quelle légitimité les Flamands prétendent-ils à une surreprésentation au parlement bruxellois et dans les conseils échevinaux, ainsi qu’à l’abandon, par conséquent, des règles du suffrage universel et de l’égalité entre les citoyens ? Selon quels principes conçoivent-ils leurs droits politiques à Bruxelles ?

Pour tenter de les cerner, faisons un détour par un épisode fameux de l’histoire franco-allemande et par le débat de philosophie politique auquel il a donné lieu, tel que le rapporte Alain Finkielkraut dans La Défaite de la pensée.

En 1870, la France perd la guerre contre la Prusse. Dès les préliminaires au traité d’armistice, l’abandon par la France des territoires de l’Est, à savoir l’Alsace et la Lorraine, est exigé par les Prussiens. Les habitants de ces régions occupées réagissent par une déclaration au gouvernement français en exil à Bordeaux : « Nous proclamons le droit des Alsaciens-Lorrains de rester membres de la patrie française ». Rien n’y fait : le traité de Francfort stipulant la cession de l’Alsace-Lorraine est ratifié, malgré le refus explicite de ses habitants : « Nous déclarons nul et non avenu le pacte qui dispose de nous sans notre consentement ».

Cependant, par leur protestation virulente, les Alsaciens-Lorrains ont mis en lumière la violence qui leur est faite. Dès lors, le nationalisme allemand, surgi dans les brumes du romantisme et de l’affirmation du droit des peuples contre l’occupation napoléonienne, se voit contraint de se justifier. Comment concilier, en effet, une philosophie fondée sur la reconnaissance de l’identité des peuples (« Volksgeist ») avec une politique oppressive ? Comment légitimer une annexion contrainte et forcée ? C’est la tâche à laquelle vont se vouer deux universitaires allemands : Strauss et Mommsen. Leur thèse peut être résumée dans les termes utilisés par Treitschke : « Nous, Allemands, savons mieux ce qui est bon pour les Alsaciens que ces malheureux eux-mêmes ». Pourquoi ? Parce que, forts des recherches ethniques, philologiques, historiques, ils affirment que les Alsaciens sont de culture allemande. Par conséquent, un passé séculaire ne peut être remis en question par une génération d’hommes. « L’homme est captif de son ascendance (…). La tradition le précède : il lui appartient avant de s’appartenir. » (1) Ainsi, on consacre la suprématie du passé sur le présent, de l’identité sur la volonté, des racines sur le contrat social.

On sait le folklore nationaliste inspiré, en France, par cette question de l’Alsace-Lorraine. « N’en parler jamais, y penser toujours. » Et, pour le rappeler aux jeunes générations, les cartes de France endeuillées dans toutes les écoles. Et, pour frapper les esprits, la description exaltée des hauts lieux spirituels de Lorraine par Maurice Barrès. On sait aussi que, de ce contentieux, naîtra l’idée de revanche.

On sait moins, par contre, que cette question d’Alsace-Lorraine a d’abord été l’objet d’une réflexion sur l’idée de nation et d’une synthèse entre la conception des Lumières, le contrat social, et celle, positiviste, de l’hérédité culturelle. Ainsi, pour Ernest Renan et Fustel de Coulanges, si, certes, « l’existence d’une nation suppose un passé, elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement ». L’homme est un être raisonnable avant d’être le représentant d’un inconscient collectif. Dès lors, en définitive, on ne peut fonder une nation sur quoi que ce soit d’autre que la volonté.

En quoi ce débat peut-il nous éclairer sur la politique flamande à Bruxelles et dans sa périphérie ? Observons les pratiques et les revendications.

1. Des majorités communales – francophones – se voient contestées dans leurs droits sous prétexte qu’elles forment une minorité régionale.

2. Une minorité régionale – néerlandophone – prétend à une représentation politique garantie indépendamment des suffrages exprimés.

3.Une minorité régionale – néerlandophone – prétend à une répression politique garantie indépendamment des suffrages exprimés.

La logique de cette politique ? Celle des nationalistes allemands de 1870. La primauté du terroir sur le vouloir, du sol sur les hommes. Tout se passe en effet comme si Bruxelles, quels que soient son statut, sa composition sociale et la volonté de ses habitants, restait une ville flamande. Les accords du Lombard n’ont donc pas accordé des garanties à une minorité linguistique, mais lui ont reconnu des privilèges politiques en vertu d’antécédents historiques et culturels.

Les signataires francophones prétendront, au contraire, avoir signé ce compromis pour protéger la démocratie des visées fascistes du Blok. Ils risquent fort, pour reprendre la célèbre formule de Churchill après Munich, d’avoir la compromission et le Blok. On ne voit pas, en effet, pourquoi ce parti ne tirerait pas profit auprès de ses électeurs flamands des avantages politiques qu’ils ont obtenus grâce à lui.

(1) La Défaite de la pensée, Alain Finkielkraut, éd. Gallimard, 1987.

Les textes de la rubrique Idées n’engagent pas la rédaction.

Par Christophe Duffeler, professeur d’histoire au Collège Saint-Michel (Bruxelles).

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