» I have a dream « 

Jacques Attali

Il y a quarante ans, le 28 août 1963, un jeune pasteur de 34 ans, Martin Luther King, prononça devant le Lincoln Memorial, à Washington, un discours resté dans les mémoires. D’abord comme un formidable morceau d’éloquence :  » Je fais le rêve qu’un jour cette nation se lèvera pour vivre vraiment ce qu’elle déclare : ôLes hommes naissent libres et égaux en droits… » […] Nous nous approchons du jour où tous les enfants de Dieu, noirs et blancs, juifs, catholiques et protestants, pourront se tenir par la main et chanter les paroles du vieux spiritual noir : ôEnfin libres ! Enfin libres ! Dieu tout-puissant, merci, nous sommes enfin libres ! »  » Ensuite parce que la trajectoire du prédicateur fut météorique : le prix Nobel de la paix l’année suivante, puis son assassinat quatre ans plus tard, suivi par le meurtre des autres principaux dirigeants noirs, mettant fin à leur rébellion, qui n’est plus incarnée désormais que par un fanatique discrédité, Louis Farrakhan, leader de Nation of Islam.

L’Amérique d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a quarante ans ; on trouve des membres de la communauté noire à tous les postes importants de la politique, de la culture et de l’économie. Pourtant, l’égalité est loin d’être réalisée : le patrimoine des Afro-Américains n’est encore, en moyenne, que le dixième de celui des Blancs. Ils constituent encore la majorité des 3,5 millions de sans-abri ; 1 Noir sur 10 de 25 à 29 ans est en prison, pour 2,9 % de Latino-Américains et 1,1 % de Blancs dans la même tranche d’âge.

De plus, ils ne forment plus la principale minorité : la population hispanique non noire est aujourd’hui plus nombreuse que la communauté afro-américaine û 37 millions pour 36,6 millions. En outre, 1,7 million de citoyens américains sont à la fois noirs et hispaniques. Ensemble, ces deux minorités représentent près du tiers de la population. Dans quarante ans, elles seront majoritaires. Et comme, par le jeu de l’immigration, la population hispanique croît beaucoup plus vite que la communauté noire, l’influence de celle-ci ne peut que décliner.

Si ces deux minorités parviennent à s’entendre, cette majorité arithmétique fera une majorité politique ; l’empire américain se trouvera alors dans la situation de tous les empires précédents, juste avant de disparaître : dirigé par des élites issues d’anciens peuples vassaux, venues occuper les principaux postes civils et militaires, il sera incapable de financer à la fois sa présence sur tous les continents et les dépenses sociales que réclamera cette majorité. Les nouveaux dirigeants exigeront alors de concentrer les ressources devenues rares sur les besoins internes du pays et, accessoirement, sur ceux des pays dont ils sont originaires. Et l’Europe du Nord, mère patrie de la nouvelle minorité américaine, cessera d’être un centre d’intérêt.

Ceux qui s’inquiètent aujourd’hui de la surpuissance américaine s’en réjouiront à tort : l’indifférence de l’empire n’est jamais une nouvelle meilleure que son arrogance.

Jacques Attali

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