Fleurs vénéneuses

Jacques Attali

La mésaventure qui vient d’arriver à l’un des plus célèbres fonds d’investissement spéculatifs américains est révélatrice de la folie de notre monde. Ce fonds au nom de fleur, Amaranth, créé en 2004, est devenu célèbre parmi ses pairs pour avoir gagné 1 milliard de dollars en quelques semaines, au début de 2006, en misant, contre tous, sur une pénurie de gaz naturel. Fort de ce succès, Amaranth paria de plus en plus d’argent sur une poursuite de la hausse du prix du gaz ; avec de bonnes raisons : les météorologistes annonçaient à la fois des ouragans (bloquant l’exploitation des gisements pétroliers du golfe du Mexique) et un hiver très froid. Mal lui en prit : l’instabilité climatique et un renversement brutal des cours des matières premières conduisirent Amaranth à perdre, à la fin du mois d’août, 6 milliards de dollars, soit plus de la moitié des fonds confiés par ses actionnaires, pour la plupart des compagnies d’assurances américaines.

Il y a beaucoup de choses derrière cette histoire : les compagnies d’assurances, principaux épargnants du monde, ont besoin, pour financer les services dus à leurs cotisants, en particulier les soins et les retraites, de revenus beaucoup plus élevés que ceux que peuvent leur fournir les bons du Trésor et les obligations des sociétés de premier rang. Aussi confient-elles leur argent à des fonds spéculatifs, qui l’investissent dans des instruments financiers de plus en plus risqués, obligations d’entreprises en mauvaise situation ou cours de matières premières imprévisibles. Comme l’argent reste abondant et donc bon marché, ces fonds doivent, pour fournir une rentabilité, prendre des risques de plus en plus grands, impossibles même à mesurer, pariant jusqu’à 50 fois leur mise, ou parfois sans aucune mise. Aujourd’hui, plus de 1 300 milliards de dollars sont ainsi gérés par de tels fonds spéculatifs, qui risquent plus de 1 000 milliards de dollars chaque jour. Aussi, quand les paris sont perdus, la perte est immense. Et elle le sera de plus en plus.

Ainsi va notre monde, où l’on s’inquiète si peu de l’avenir, pourtant si menaçant, que l’on ne rémunère pas décemment ceux qui prennent le risque de le préparer en créant de vraies richesses, préférant aventurer l’épargne des salariés dans des spéculations de casino. Cela, naturellement, ne peut que mal finir. Un jour, les taux d’intérêt refléteront la réalité des risques et tout le système financier occidental, et d’abord américain, pourrait s’effondrer. Personne ne pourra dire qu’il n’a pas été prévenu.. l

Jacques Attali

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