Dans cet autoportrait, de sanglantes surexpositions rencontrent la froideur bleutée du monde extérieur. © National

Entre chien et loup (1997-2020), Yu Hirai

Le Vif

Plus qu’une simple photographie, Entre chien et loup est une série que l’on doit à Yu Hirai (1963, Tokyo). Son œuvre tout entière est marquée par le déracinement, l’exil choisi… mais pas indolore pour autant. C’est en 1983 que la jeune femme quitte le Japon pour l’Europe. Entre 1985 et 1988, elle s’établit à Bruxelles où elle se passionne pour le dessin au fusain. Après trois années passées à Barcelone, elle décide de s’installer à Berlin. A nouvelle ville, nouvelle pratique, désormais Yu Hirai s’adonne à la photographie.

L’image ci-dessous, qui date de 1997, est d’ailleurs fondatrice de l’approche intuitive qu’elle déploie à partir ce moment-là. «Il s’agit d’un autoportrait dans l’intimité de mon studio à Berlin, précise-t-elle. Je suis devant une fenêtre ouverte, au crépuscule. Une lumière rouge, opaque, m’entoure et recouvre mon visage. Ce jeu de flou et de net, obtenu par diverses mises au point, est devenu par la suite mon modus operandi, même s’il m’a fallu plusieurs années pour mûrir ce qui allait devenir Entre chien et loup.»

Le travail en question, mené à l’argentique, fait se rencontrer sanglantes surexpositions et froideur bleutée du monde extérieur – un sillon qu’elle creusera de façon de plus en plus marquante. Il évoque par là ces abîmes que connaissent tous ceux qui sont à la marge d’une société. En automne, ce malaise se fait tout particulièrement sentir vers 18 heures, entre le jour et le soir. Cette sensation d’être pris d’un vertige, de porter le monde sur les épaules. Pour la photographe, ce mal-être a des sources plus profondes, transgénérationnelles pour ainsi dire. «Les parents de mon père étaient Coréens. Ils ont émigré au Japon durant la période du colonialisme nippon. Bien que né et ayant grandi au Japon, mon père s’est vu retirer sa nationalité japonaise après la défaite du Japon en 1945 et le retour de l’indépendance de la Corée. Ayant choisi de rester dans le pays où il avait grandi, il vécut apatride jusqu’à la fin de ses jours. Mon père ne m’a jamais raconté cette histoire. Je l’ai découverte par bribes, ma mère me la confiant au fil des ans», écrit Yu Hirai. Sous les images, parfois des gouffres. V

Au Salon d’art, à Bruxelles, jusqu’au 15 octobre.

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