ENSEIGNEMENT

Des enseignants âgés sur le départ, des salaires peu attractifs, une profession de plus en plus pénible… De la 1re primaire à la rhéto, les estrades se vident. Comment stopper l’hémorragie?

Gisèle Liévin, directrice des écoles communales de Saint-Gilles (Bruxelles), s’arrache les cheveux. « Pour la troisième année consécutive, je crains ne pas parvenir à recruter suffisamment d’enseignants pour la prochaine rentrée scolaire. L’an dernier, je n’ai pas trouvé le nombre de profs de néerlandais dont j’avais besoin, pour nos six écoles primaires. » Las: les élèves n’ont pas reçu le nombre d’heures de néerlandais auquel ils ont légalement droit. « En outre, une enseignante a accouché, poursuit Gisèle Liévin. Impossible de trouver une remplaçante. Pendant quinze semaines, sept classes n’ont pas eu de cours de néerlandais. »

En effet, faire face aux congés de maladie tient désormais de la quadrature du cercle. « En 1re primaire, trois classes ont dû être regroupées en deux, faute d’intérimaire. Et une autre enseignante souffrante a été remplacée par une institutrice maternelle. » Le préscolaire n’est pourtant pas totalement épargné. « Suite à de nouvelles inscriptions d’enfants, en janvier et après Pâques, je suis toujours à la recherche d’enseignantes pour ouvrir de nouvelles classes. »

Enfin, dans le secondaire, ce sont surtout les professeurs de cours techniques et de pratique professionnelle qui font défaut. « On introduit régulièrement des dérogations pour pouvoir engager des professionnels qui n’ont pas de formation pédagogique. Malgré cela, la place d’une titulaire en travaux de bureau, dont le congé de maternité s’est prolongé, est restée vacante. » Et ce, depuis novembre dernier…

Préoccupant? Dès 1999, Pierre Hazette, ministre de l’Enseignement secondaire, a tiré la sonnette d’alarme. Il a proposé – en vain et sur fond de contestation – de rappeler les prépensionnés sur l’estrade et d’autoriser des professeurs en exercice à prester des heures supplémentaires rémunérées. A l’époque, la pénurie naissante concernait déjà la région de Bruxelles et les cours de langues germaniques. Mais, ailleurs en Belgique francophone, on cherche aussi des professeurs de latin, de mathématiques, de physique, de géographie, de sciences économiques, de soudure, de mécanique, etc.

En février 2000, Hazette chiffrait, à 200, le nombre d’enseignants malades qui n’avaient pu être remplacés. Depuis, le phénomène ne serait plus limité aux grandes épidémies de grippes, habituelles en janvier et en février de chaque année. « Dans tous les réseaux, des cours ne sont pas donnés, explique Hazette, dans le dernier numéro d’ Option, la revue de la CSC-enseignement. Nous sommes dans le structurel. Ma véritable crainte, c’est qu’à la fin de la législature, nous ne soyons véritablement dans un état de pénurie grave. »

Dans le primaire, les difficultés sont plus récentes. Depuis septembre dernier, Jean-Marc Nollet, ministre de l’Enseignement fondamental, a comptabilisé quelque 900 jours ouvrables durant lesquels une classe s’est retrouvée sans titulaire, ce qui équivaut à trois horaires complets. « On estime que durant certaines périodes de l’année, il faut une réserve de 9 à 11 % de temporaires pour remplacer tous les enseignants malades, précise Régis Dohogne, porte-parole de la CSC-Enseignement. Actuellement, il n’y a plus que 6 % environ d’instituteurs intérimaires. »

Comment en est-on arrivé là? « Beaucoup d’enseignants ont été engagés dans les années 60, dans la foulée du pacte scolaire qui a accru l’offre dans l’enseignement », rappelle Dohogne. Par la suite, dans les années 70, la généralisation du rénové et de ses nombreuses options a conforté cette tendance au recrutement dans les collèges et les athénées. Résultat: l’âge moyen des professeurs s’est élevé. Dans le réseau de la Communauté française, par exemple, près d’un enseignant sur deux (43 % selon les chiffres de 1997) a 50 ans ou plus, dans le fondamental, et 39 %, dans le secondaire. L’importance des départs à la retraite ou à la prépension, dès 55 ans, va donc se poursuivre.

Or la relève ne semble pas assurée. Ainsi, dans les hautes écoles, le nombre de jeunes poursuivant des études d’instituteurs ou de régents est passé d’un peu plus de 14 000, en 1994, à 10 500 environ, l’an dernier. Au cours de la seconde moitié des années 90, à l’université, les facultés de sciences ont subi la même désaffection: le nombre d’étudiants en 1re candidature a diminué de quelque 40 % en géographie, de 30 % en chimie, de 20 % en physique et de 15 % en mathématiques. En outre, leur désamour pour le métier de professeur est réel: en mathématiques et en sciences, le nombre de licenciés qui possèdent également l’agrégation a été divisé par trois environ, de 1993-1994 à 1998-1999, à l’UCL.

L’école ferait-elle fuir? « Pendant la décennie précédente, 3 500 postes de travail ont été supprimés dans l’enseignement (6 000 selon les syndicats, NDLR): c’est un contre-appel », reconnaît Hazette, dans la revue Option. Durant des années, en effet, on a répété que les études menant à l’enseignement n’avaient plus de débouchés. Le ministre de l’Enseignement secondaire met aussi en cause « la médiatisation de certains faits de violence » qui aurait eu « pour effet de dissuader les jeunes de faire ce métier ».

A Saint-Gilles, on plaide en tout cas pour une revalorisation de la profession. « Il ne s’agit pas seulement d’une question financière, explique Gisèle Liévin, mais aussi de restaurer l’image des professeurs. Pendant des années, on les a présentés comme des paresseux, des carotteurs, parce qu’ils auraient trop de jours de congé de maladie… » La commune de Saint-Gilles a, notamment, proposé au gouvernement d’organiser une campagne de sensibilisation.

Message reçu: Hazette s’apprête à envoyer un courrier à tous les rhétoriciens. Son slogan? « Pensez à l’enseignement ». Ses arguments? « Je ne crois pas que l’on puisse nécessairement dire que le privé est plus attrayant financièrement, en début de carrière en tout cas », explique Hazette. Au 1er septembre 2000, un instituteur sans ancienneté gagnait quelque 44 000 francs net par mois s’il était isolé, un régent 44 500 francs et un licencié près de 52 000 francs. « Osons dire tout de même que c’est un métier à deux mi-temps, poursuit Hazette. Un mi-temps à l’école, sous contrainte, et un mi-temps à la maison, en pleine liberté. »

Mais la méthode Coué n’est pas la seule piste. Depuis l’an dernier, les hautes écoles ont mis sur pied des formations d’environ un an qui permettent à une institutrice maternelle ou à un régent d’enseigner dans le primaire. Cela ne concernerait toutefois que quelques dizaines d’instituteurs. « C’est une solution temporaire dans la mesure où elle risque d’aggraver les états de pénurie à d’autres niveaux », explique Martine Wille, échevine de l’Instruction, à Saint-Gilles.

Une autre voie consisterait à assouplir les titres requis pour enseigner, de façon à permettre à un traducteur ou à un interprète de donner des cours de langues, par exemple. Ou à un professeur de français, spécialité non concernée par la pénurie, de prendre en charge une classe de latin. Mais le dossier est si complexe qu’il n’avance guère.

Du bricolage? L’OCDE (organisation de coopération et de développement économiques) s’est, en tout cas, émue de la « crise profonde du recrutement des enseignants » de la Suède à l’Italie, en passant par la Nouvelle-Zélande et les Etats-Unis. Elle a observé une tendance généralisée au vieillissement des enseignants et à une attractivité moins grande de leur profession ( voir le graphique ci-contre). Or les compétences exigées sont croissantes, notamment en matière de technologies nouvelles ou de relations humaines. « En d’autres termes, il est souvent demandé aux enseignants de faire plus pour une rémunération moindre », résume Paulo Santiago de la direction de l’Education, dans L’Observateur.

Résultat: « Dans l’immédiat, la pénurie d’enseignants risque de se traduire par une baisse de qualité de l’enseignement », craint l’OCDE. A court terme, les principaux dispositifs mis en place dans les pays occidentaux consistent, en effet, à abaisser le niveau de qualification exigé des enseignants. Ou à aligner la demande sur l’offre en augmentant la charge de travail des enseignants ou le nombre d’élèves par classe. « Si l’on veut éviter une grave pénurie d’enseignants, des mesures spécifiques doivent être adoptées sans tarder: incitations financières, amélioration des conditions de travail et perfectionnement professionnel », conclut l’OCDE. Difficile, voire impossible, dans le contexte actuel de la Belgique francophone?

Dorothée Klein

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