D’Onofrio dans le rouge

C’était dans l’air depuis un moment. L’enquête sur Lucien D’Onofrio et le financement du Standard se termine. Le désormais ancien patron du club de Sclessin a été inculpé. En cause : le système de transfert des joueurs.

On finissait par se demander si des inculpations allaient tomber un jour dans ce dossier ouvert en avril 2004. La justice liégeoise a attendu la veille de la vente du Standard à Roland Duchatelet pour lancer une première salve. Le 21 juin, le juge d’instruction Philippe Richard a inculpé Lucien D’Onofrio et son éminence grise Maurizio Delmenico de faux et blanchiment d’argent. Ce calendrier judiciaire n’est sans doute pas le fruit du seul hasard. C’est bien joué de la part du palais de la place Saint-Lambert d’avoir attendu la cession du club et la fin des compétitions sportives pour toucher au c£ur son désormais ancien boss.

Depuis le début de l’instruction, le juge Richard s’est barricadé derrière un mur de silence, en bridant étroitement ses enquêteurs. Il marche sur des £ufs et il le sait. Le Standard est adulé dans la région et D’Onofrio n’est pas un bleu. C’est même un habitué des prétoires. Cet ancien milieu de terrain reconverti en agent de joueurs après une fracture de la cheville, a déjà été plusieurs fois condamné en France dans des dossiers de commissions occultes liées à des clubs de foot.

Notamment dans l' » affaire OM  » (Olympique de Marseille) en 2006 : il s’est vu infliger une peine de deux ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis pour son intervention dans les transferts de Laurent Blanc et Fabrizio Ravanelli, majorés artificiellement de 380 000 euros. A l’époque le président du tribunal marseillais, Vincent Turbaux, avait comparé les pratiques des agents de joueurs qui comparaissaient devant lui à celle de  » négriers « .

Dans l’instruction liégeoise, c’est aussi le système des transferts qui est visé. Le juge Richard s’est intéressé aux mécanismes financiers entre clubs, notamment avec l’OM où plusieurs joueurs ont été transférés après un passage à Sclessin, à savoir : Vedran Runje, Daniel Van Buyten, Jurgen Cavens et Joseph Yobo. Des montants ont bien été actés dans la comptabilité officielle du club, mais la justice se demande s’il n’y a pas eu, en parallèle, des mouvements d’argent, disons, plus discrets. Soupçon : ces transferts, qui s’élèvent à 20 millions d’euros (dont 10 millions pour Van Buyten, un record à l’époque), auraient été surévalués, avec l’accord de l’OM, pour masquer d’autres flux d’argent destinés à financer le Standard, tout en échappant au fisc.

L’enquête liégeoise s’est aussi penchée sur le cas de joueurs ayant fait l’objet de transaction avec la Juventus de Turin. D’Onofrio y entretenait d’excellentes relations avec Luciano Moggi, son directeur général, emporté par le scandale des matchs truqués, qui relégua le club turinois en 2e division du Calcio, le championnat italien. La transaction concernant Fabian Carini, qui a évolué à Sclessin entre 2002 et 2004, a retenu particulièrement l’attention des enquêteurs. Carini a quitté la Juve pour 5 millions d’euros, une somme qu’aucun club belge ne se permettait, alors, pour acheter un joueur. Il est retourné, deux ans plus tard, en Italie pour le même montant. Un mouvement suspect, aux yeux des policiers financiers de Liège. De son côté, le parquet de Turin suspecte la Juve d’avoir participé à des transferts douteux avec divers clubs européens : Monaco, Dortmund, Benfica, Real de Madrid et le Standard.

Les auditions de plusieurs joueurs et les diverses commissions rogatoires en France et en Italie ont été déterminantes pour l’enquête liégeoise. Une enquête qui semble bien ficelée. Bernard Tapie, l’ancien patron de l’OM, avait pourtant déclaré, en janvier 2008, après avoir été entendu en commission rogatoire :  » Si je reprends la théorie de votre juge belge, on reproche à un club, le Standard, de vendre trop cher. [à] En tout cas, je ne veux pas servir de faire-valoir à une procédure qui ne tient pas la route. Votre juge belge a certainement envie de faire du cinéma. « 

Blanchiment via des sociétés offshore

Toujours selon l’enquête liégeoise, les commissions occultes récoltées par Lucien D’Onofrio lors de ces transferts auraient été blanchies via des sociétés offshore, établies à Vaduz (Liechtenstein), à Panama City, à Tortola (îles Vierges britanniques), et via des sociétés écrans à Dublin, Londres… Le nom de D’Onofrio n’apparaît dans quasi aucune de ces sociétés. C’est Maurizio Delmenico, réviseur suisse domicilié à Lugano et ex-administrateur du Standard, qui tiendrait les rênes de ce réseau. D’où son inculpation par le juge Richard. Le nom de Delmenico a été cité dans le procès de l’OM, à Marseille.

La justice liégeoise a également frappé l’ancien homme fort du Standard au portefeuille. En effet, les 10,7 % que D’Onofrio détient dans le capital du club via la société Kick International, basée aux Pays-Bas, ont fait l’objet d’une saisie conservatoire, une démarche judiciaire préventive, entre autres, contre l’organisation d’insolvabilité. Une même mesure avait déjà été prise en 2008 pour plusieurs immeubles que Lucien D’Onofrio possède à Ans et à Liège. Notamment le luxueux hôtel particulier qu’habite cet ami d’enfance de Michel Daerden, rue Bonne Fortune, en plein centre de la Cité ardente. Une magnifique demeure du XVIIIe, décorée par plusieurs artistes renommés, dont le Français Daniel Buren, et qui possède son  » appartement Bernard Tapie « . Tous ces immeubles sont propriétés de la société de droit du Liechtenstein Alalunga Anstalt, basée Egerstrasse, à Vaduz, dont Maurizio Delmenico est le gestionnaire officiel.

D’Onofrio et Delmenico ont toujours nié toute malversation. Nous avons appelé le premier pour le faire réagir à son inculpation.  » C’est la vie. Chacun fait ce qu’il doit faire. Pas de réaction !  » a-t-il juste répondu. Pour Me Delbouille, son avocat, les inculpations ne constituent qu’une étape de la procédure. Il répète à l’envi que toutes les opérations financières se sont déroulées dans une parfaite légalité et que les montants investis dans le club de Sclessin l’ont été dans une transparence absolue. La justice tranchera.

Au début de l’instruction, certains ont murmuré que le club faisait les frais du licenciement, fin 2003, du kiné Jean Bourguignont, frère de la procureure du roi de Liège à l’époque, Anne Bourguignont. Il est vrai que l’enquête n’a pas démarré sur une plainte, mais sur l’initiative du parquet, comme ce fut le cas pour l’Excelsior de Mouscron en 2007. La rumeur a fait long feu. Le dossier a, en réalité, été ouvert dès 2003 par un enquêteur de la police judiciaire intrigué par le mode de financement du club à la fin des années 1990, lorsque le milliardaire alsacien et ancien président de l’OM Robert-Louis Dreyfus, sollicité par D’Onofrio, avait apporté ses millions pour sauver le Standard de la banqueroute.

Des dirigeants de Sclessin avaient également suggéré qu’à l’époque où le conseil d’administration du Standard comprenait des hommes politiques liégeois, personne ne s’était posé la question de l’origine des fonds. Un dossier a été ouvert au parquet, une fois ceux-ci partis. En réalité, Robert Collignon (PS), Jean-Pierre Grafé (ex-PSC) et Jean-Marie Fontenoy (ex-PRL) sont rentrés dans le conseil d’administration en 2000, aux côtés de Dreyfus, Delmenico ou encore Reto Stiffler, hôtelier suisse et vieux compagnon de route de Dreyfus et de D’Onofrio. Toujours agent de joueurs, D’Onofrio, lui, est resté dans l’ombre, tout en participant discrètement au processus décisionnel avec ses amis administrateurs. Il fera son entrée au conseil en 2004, après le départ des politiques. Très vite, le conseil d’administration ne sera plus composé que de Dreyfus, Stiffler et D’Onofrio. Une remarquable concentration de pouvoir.

THIERRY DENOËL

Une remarquable concentration de pouvoir

 » Votre juge belge a certainement envie de faire du cinéma « 

(BERNARD TAPIE, EN 2008)

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