D’exceptions en exceptions aux exceptions

Une réforme de l’Etat, c’est l’art de faire dans la dentelle institutionnelle et de planquer le diable dans les détails. Florilège.

Soins de santé

C’est l’un des coeurs du réacteur de la centrale belge. L’étage fédéral y a fondu, mais le risque d’explosion est provisoirement écarté. La solidarité interpersonnelle est sauve.

Hôpitaux. Les entités fédérées sont  » libres  » de définir les normes d’agrément des hôpitaux et programmes de soins. Compétentes aussi pour la politique d’investissement des infrastructures hospitalières et de l’appareillage médical lourd. Mais le fédéral n’est jamais loin. La fixation des  » caractéristiques de base  » des hôpitaux et autres circuits de soins, la programmation du nombre de lits : c’est son rayon.

Donc : pas question pour une Communauté ou une Région de toucher aux normes d’agrément de ses hôpitaux sans passer par une procédure de concertation et d’évaluation d’incidence budgétaire, avec droit de veto de l’autorité fédérale.

Trop fort : on en est arrivé à créer le statut parfaitement obscur d’hôpitaux  » hybrides « , attribué à quatre établissements francophones (deux wallons et deux bruxellois) de revalidation et de soins gériatriques qui, pour échapper à la régionalisation du secteur que la Flandre a adoptée, ont fusionné avec des hôpitaux généraux qui sont encore fédéraux.

Troisième âge. La parole est aux Communautés : maisons de repos et de soins, maisons de repos pour personnes âgées, centres de court séjour, centres de revalidation, sont tombés dans leur escarcelle. Y compris le prix réclamé aux patients. Hors des pieds, le fédéral ? Pas si vite : il garde la main sur ce qui relève de l’assurance maladie-invalidité, et sur ce qui concerne les soins à domicile.

Pour info :l’aide à la mobilité aux personnes âgées, transférée aux Communautés, ne concerne que les personnes handicapées d’au moins 65 ans qui ne bénéficient pas d’une allocation de remplacement de revenus ou d’intégration. Pour les autres ? Le fédéral en fait toujours son affaire.

Santé mentale. Les Communautés ont décroché  » la dispensation de soins de santé mentale en dehors du milieu hospitalier « , le fédéral a tenu bon sur  » la dispensation de soins dans et en dehors des institutions de soins « . Il ne faudrait pas tout confondre : les hôpitaux psychiatriques en tant que tels restent fédéraux, alors que les maisons de soins psychiatriques relèvent désormais des Communautés. Dingue…

Revalidation. Une cuillère pour les Communautés qui héritent du long term care. Une louche pour le Fédéral qui se garde le non long terme care.

Professions des soins de santé. Une seule phrase, et tout s’illumine : les Communautés obtiennent  » l’agrément des professionnels des soins de santé, dans le respect des conditions d’agrément arrêtées par l’autorité fédérale « . Décodage : les entités fédérées ont carte blanche pour établir des sous-quotas par spécialité, mais c’est le fédéral qui fixe le nombre global maximum de candidats qui ont accès annuellement à chacune des professions des soins de santé et qui détermine si les prestations de ces prestataires de soins donnent lieu à une intervention de l’assurance-maladie invalidité. Cela s’appelle ne pas lâcher prise sur l’exercice de l’art de guérir.

Le patient, où qu’il se fasse soigner, n’y voit que du feu : rien ne change dans le remboursement de sa consultation, dans la gestion de ses médicaments, dans le coût de son séjour à l’hôpital. Se doute-t-il un instant que le vaccin vendu en pharmacie a toujours la saveur du fédéral, même si la campagne de vaccination est aux couleurs des Communautés ?

Emploi

La santé, c’est aussi le travail. Les niveaux de pouvoir se pressent autour du berceau de ceux qui n’en trouvent pas ou qui risquent de le perdre.

Chômage. Les Régions ont la main sur le contrôle et la vérification de la disponibilité des chômeurs pour le marché du travail, ainsi que sur la capacité d’imposer des sanctions. C’est beaucoup et peu à la fois.

Car le fédéral a le dernier mot sur la réglementation en matière d’emploi convenable, de recherche active d’emploi, de contrôle administratif. C’est lui qui continue de payer les allocations de chômage. C’est auprès de lui qu’un chômeur sanctionné par une Région viendra plaider sa cause s’il conteste sa punition. Et c’est toujours lui qui exécute matériellement la sanction.

Formation professionnelle. Qui dit disponibilité pour le marché du travail dit dispenses possibles : les Régions tranchent s’il s’agit de reprendre des études, de suivre une formation professionnelle ou un stage. Le fédéral se prononce s’il s’agit de chômeurs âgés ou s’il est question de raisons sociales et familiales.

Reclassement professionnel. Placement des travailleurs, remboursement des frais de reclassement aux entreprises, imposition de sanctions aux employeurs en cas d’absence de reclassement ? Guichet  » Régions « . Procédure de reclassement, aspects relatifs au droit du travail en lien avec le classement, règlement de l’indemnité de reclassement ? Guichet  » Fédéral « .

Groupes cibles. Les Régions ont la main sur les réductions ciblées de cotisations sociales et l’activation des allocations de chômage.

Oui, mais… il y a exceptions : le fédéral reste compétent pour les réductions patronales de cotisations sociales établies en fonction des caractéristiques de l’employeur ou du secteur d’activité (réduction collective du temps de travail,  » bonus à l’emploi « , secteurs Horeca et aérien, etc.)

Oui, mais… il y a exceptions à ces exceptions, au profit des Régions : elles s’occupent des réductions sectorielles de cotisations patronales de sécurité sociale pour le secteur du dragage, du remorquage et de la marine marchande, le personnel domestique, les personnes qui assurent l’accueil d’enfants, les artistes, l’économie sociale.

Oui, mais… il y a exceptions aux exceptions à ces exceptions : retour à la case fédérale en ce qui concerne la réduction structurelle des cotisations ONSS des travailleurs du dragage/remorquage et des entreprises de travail adapté dans l’économie sociale. Rien compris ? Plus d’un juriste non plus.

 » Titres-services « . Pour l’agrément, le contrôle, l’inspection, l’affectation des moyens, le régime fiscal : tapez  » Régions « . Pour les aspects liés au bien-être des travailleurs sur le lieu de travail, à la politique salariale et au contrat de travail qui lie le travailleur à l’entreprise de titres-services, à la sanction des infractions : tapez  » Fédéral « .

Agences locales pour l’emploi (ALE). Supprimer, compléter, modifier ou remplacer le régime des agences locales pour l’emploi : direction les Régions. Pour le contrat de travail ALE, les dispenses de disponibilité liées à l’ALE, la réglementation générale du bien-être des travailleurs ALE ou l’allocation de garantie de revenus ALE : cap sur le fédéral.

Accès à la profession. Il tombe dans la poche des Régions. Sauf que le fédéral se réserve les conditions d’accès aux professions intellectuelles prestataires de services et aux professions de soins de santé. A savoir : notaire, avocat, vétérinaire, huissier de justice, architecte, réviseur d’entreprise, agent de change, ou encore… détective privé.

Migration économique. L’occupation des travailleurs étrangers et l’octroi des permis de travail A et B, c’est le job des Régions. Sauf que le fédéral, puisque toujours compétent pour l’accès au territoire et l’octroi du droit de séjour, délivre les permis de travail C.

Mobilité

Sécurité routière. Tout roule pour les Régions qui ont décroché le droit de fixer les limites de vitesse sur la voie publique sauf sur les autoroutes, les zones résidentielles, les zones piétonnes, les rues réservées au jeu et les rues cyclables. Qui héritent du placement et des dimensions (mais pas du contenu) des panneaux de signalisation routière, excepté la signalisation aux zones de douane, aux passages à niveau et croisements avec les voies ferrées et aux voies militaires. Le fédéral garde de beaux restes : le Code de la route.

Tout ça est un peu confus ? Servais Verherstraeten (CD&V), secrétaire d’Etat aux Réformes institutionnelles sous l’ère Di Rupo, a rassuré tout son monde :  » Si l’enchevêtrement des compétences le justifie, les Régions et l’autorité fédérale se concerteront pour réglementer la matière, afin que la réglementation proposée ne rende pas impossible ou exagérément difficile l’exercice, par les autres autorités compétentes, de leurs compétences. Cette concertation n’est toutefois pas une concertation juridiquement obligatoire, de sorte que celle-ci ne doit pas être reprise dans le dispositif de la loi spéciale.  » Ouf, tout s’éclaire.

Formation à la conduite automobile. Les Régions sont maîtresses des modalités d’apprentissage en auto-école, de l’organisation des examens pour décrocher le permis de conduire. Mais le fédéral reste compétent pour établir le contenu minimal des examens pratique et théorique, fixer les aptitudes nécessaires à la conduite d’un véhicule. Le permis de conduire provisoire, le permis à points ou les règles en matière de déchéance restent de son ressort.

Circulation automobile. Aux Régions le contrôle technique des véhicules, au fédéral la détermination des exigences techniques applicables à ces véhicules. Au cas où une Région s’aviserait de supprimer l’obligation de ceintures de sécurité à bord.

Pêle-mêle…

Les prix. Régions et Communautés sont à présent seules compétentes pour réglementer les prix dans leurs domaines d’action. Ce qui n’enlève en rien au fédéral sa politique des prix et son droit de bloquer  » ses  » prix, à condition de ne pas influer sur les prix  » régionaux  » ou  » communautaires « , sauf si c’est pour lutter contre l’inflation ou préserver la concurrence. Le dispositif n’a pas encore eu la chance d’être expérimenté. On brûle d’impatience.

Les animaux. Entrele bien-être animal confié aux Régions et les normes relatives à la santé animale et la sécurité de la chaîne alimentaire maintenues au fédéral, les abattages rituels oscillent. Autre cas de figure pas invraisemblable : le fédéral, au nom de la santé publique, pourrait décréter la tolérance zéro pour l’utilisation d’antibiotiques dans l’élevage. Une Région, la Flandre au hasard, pourrait objecter l’éthique animale et les soins à prodiguer au bétail pour contester l’interdit.

Ports et digues. Les Régions sont compétentes pour les normes techniques de sécurité en matière de construction et d’entretien des voies hydrauliques sans digues. Mais si le chantier contient un port ou une digue, le fédéral pointe le bout du nez.

P. Hx

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