Des entreprises pour le public

Une régie des postes, un institut de radio-télévision, une régie des télégraphes et des téléphones, une grande compagnie d’aviation… Qu’elle semble loin, aujourd’hui, l’époque des monopoles publics, assurant leurs missions à la satisfaction relative du public dans le confort de l’Etat-providence. Cette époque-là n’est pourtant révolue que depuis une dizaine d’années seulement. Une décennie révolutionnaire! La RTT devenait Belgacom en 1991 et les opérateurs étrangers lançaient leurs lignes téléphoniques; la poste prenait ses majuscules et voyait les sociétés de courrier rapide entrer dans la course; la régie des voies aériennes accouchait de la Biac et de Belgocontrol; l’audiovisuel multipliait ses chaînes dans et hors du territoire. Seuls, finalement, les chemins de fer ne rencontraient aucune concurrence, du moins sur le rail ne les a pas pour autant protégés des turbulences contemporaines.

Pourquoi ce formidable courant d’air? Parce que les portes et fenêtres ouvertes au sein de l’Union européenne ont fait entrer la libéralisation progressive des marchés. Désormais, les opérateurs des services au public pouvaient ignorer les frontières et la concurrence jouer à fond. Parce que, ensuite, le vent du libéralisme économique né des années 80 a ébranlé les vieux credos étatiques – étiquetés de gauche – et fait entrevoir que l’efficacité des services, la souplesse du personnel et le dynamisme de la gestion passaient forcément par les méthodes ou les capitaux du secteur privé. L’Etat-providence (« je m’occupe de tout ») a ainsi glissé vers l’Etat-gestionnaire (« je gère ce que je possède ») puis, souvent, vers l’Etat-actionnaire (« j’investis sans gérer »).

Là où certains pays proches cédaient alors en bloc des activités au privé – le rail en Allemagne, la santé en Grande-Bretagne – la Belgique le faisait parfois en partie, opérant des demi-privatisations (Belgacom, Sabena) sous l’expression aussi pudique qu’hypocrite de « consolidation stratégique ». Auparavant, l’exécutif avait inventé, en mars 1991, « l’entreprise publique autonome ». Un statut original, intelligent, mais exigeant et promis à de grandes difficultés dans son application, ainsi que l’a déjà éprouvé à quelques reprises la RTBF en Communauté française et, spectaculairement aujourd’hui, La Poste vis à vis du gouvernement fédéral ( lire les analyses de Laurence Van Ruymbeke et Isabelle Philippon, p.10). Autonomes dans leur gestion et dans leurs activités économiques exercées en concurrence avec d’autres sociétés, les opérateurs restent contractuellement liés aux pouvoirs publics, et financés comme tels, pour assurer des missions de service public. Cela paraît sain et facile. Ça ne l’est pas lorsque la tutelle politique sort de son rôle pour trop régenter et lorsqu’elle s’acharne à considérer les fauteuils d’administrateurs comme des cadeaux réservés aux amis ou comme des placards pour caser les indésirables. Cela n’est pas sain non plus lorsqu’un administrateur général, ou un syndicat, se comporte soudain en propriétaire de l’entreprise. Les propriétaires, en l’occurence, sont aussi les clients : il s’agit des contribuables, tout simplement.

Dans le débat du moment sur le rôle de l’Etat dans les grands services à la population, il ne faut donc pas jeter aux orties l’entreprise publique autonome. Mais sans doute s’impose-t-il d’en réévaluer et d’en préciser les droits et devoirs, les modes de relations avec le gouvernement et les responsabilités internes. C’est le sens d’une opportune proposition de loi déposée par le PRL. On voudrait qu’elle soit aussi l’occasion, plus globalement, de rétablir en ce domaine la primauté du politique sur l’économique et sur la politique. Qu’elle exige des entreprises publiques non seulement un service minimum mais aussi le service universel (accessible à chacun quel que soit son statut socio-économique), quitte à libérer ces entreprises de certaines missions spécifiques actuelles (pourquoi La Poste devrait-elle conserver le monopole de la vente des timbres, par exemple?).

Ce service universel implique le maintien des petits bureaux de poste à proximité des usagers, l’exploitation des lignes de trains et de bus peu fréquentées, les raccordements téléphoniques pour tous et des émissions hertziennes jusque dans les vallées encaissées. Exigences coûteuses? Assurément. Plus coûteuses que si elles étaient confiées au secteur privé? La question est sans objet, incompatible avec la juste logique de rentabilité du privé.

Rétablir le sens du politique, c’est assumer, grâce aux recettes fiscales, ces dépenses non rentables financièrement, mais socialement indispensables. Un choix qui n’exclut en rien la rigueur de la gestion et la performance des services.

JEAN-FRANÇOIS DUMONT Rédacteur en chef adjoint

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire