Des députés un peu déconnectés

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le nucléaire civil reste un savoir hautement scientifique et peu maîtrisé par les élus du peuple.

Si, au Parlement, il devait y avoir un débat sur le nucléaire, c’est sûr, ce serait rigolo « , lâche un vétéran de l’atome. Certes, l’expert utilise la boutade, mais il n’a pas tort sur le fond. Son commentaire se révèle unanimement partagé par le milieu nucléaire, qui se dit,  » au quotidien, confronté à des députés dépassés par l’enjeu nucléaire « . Exemple très récent : la rente nucléaire. Le débat fut tour à tour d’un populisme mesquin ou d’une affligeante médiocrité.  » Je n’oserais pas dire que je suis experte, reconnaît Karine Lalieux (PS), membre de la commission de l’Economie au Parlement. Pour cela, il faudrait se plonger dans ces dossiers très techniques vingt-quatre heures sur vingt-quatre, être tout le temps sur le terrain : c’est impossible, mais je m’informe à toutes les sources, le plus possible. « 

Comment justifier la méconnaissance des décideurs politiques, hormis un notable noyau (notamment, du côté francophone, l’Ecolo Olivier Deleuze, le libéral David Clarinval, la socialiste Karine Lalieux et le centriste Joseph George) ?  » Au sein de l’Assemblée, chaque député tente de se spécialiser « , répond David Clarinval (MR).  » Combien parmi nous savent comment fonctionne une centrale électronucléaire ? » lance Christian Legrain, secrétaire général du Centre d’études nucléaires. C’est là le hic : malgré des efforts (suffisants ?) de rigueur et de transparence, ces  » choses  » trop complexes pour les élus du peuple ont été et restent une information réservée aux initiés dans un pays qui dépend à 55 % de l’atome.

Pour comprendre, il faut aussi retourner un demi-siècle en arrière. Durant des décennies, Electrabel, vieux monopole, a entretenu des relations étroites avec les pouvoirs publics. L’entreprise, qui transportait, distribuait et vendait l’électricité, occupait seule la scène énergétique. Autrement dit, la Belgique avait confié les clés du  » ministère de l’Energie  » à Electrabel. Ce faisant, à des techniciens, en l’occurrence les ingénieurs, élite de l’élite. Tournant stratégique : la libéralisation du marché de l’énergie (qui s’est progressivement effectuée entre 1999 et 2007) a mis fin à cette sorte de  » domaine réservé « . Les politiques ont dû, ces dix dernières années, reprendre le manche de pilotage, dont ils ne s’étaient plus trop saisis. Créneau porteur électoralement ?  » Ces dossiers sont moins « sexy » que d’autres sujets plus polémiques « , déclare David Clarinval.

Les  » pro  » et les  » anti  » : on y revient toujours

A la méconnaissance des politiques s’ajoutent les maux du nucléaire : une forme d’arrogance technicienne et une forte endogamie dont on ne se sort jamais. Celles-ci ont nourri une culture de la défiance : dans l’univers du nucléaire, si l’on n’est pas  » anti « , on est forcément  » pro « .  » Un scientifique qui croit au nucléaire est un lobbyiste mais celui qui croit au renouvelable est un altruiste « , réplique un expert nucléaire. Ainsi va l’objectivité. A l’Assemblée, les parlementaires reconnaissent qu’il est extrêmement compliqué d’organiser un débat pluraliste sur le nucléaire.  » Les dossiers énergétiques sont très complexes et très teintés d’idéologie. Après tout, un scientifique a le droit d’avoir une opinion, tout comme faire des choix politiques n’est pas neutre « , réagit Kristof Calvo, député Groen!.

Les  » pro  » et les  » anti « , on y revient toujours. Cette irréductible opposition rend le débat impraticable. Au point qu’au sein de la commission de l’Economie de la Chambre l’ambiance serait devenue délétère, et le tracé, flou.

SORAYA GHALI

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