Des chiffres et des hommes

Des chercheurs crient au massacre d’un chef-d’ouvre : le recensement à la belge. Au pays d’Adolphe Quételet, peut-on se passer de cet outil statistique ?

Tous les dix ans en moyenne, depuis 1846, un recensement de la population et des logements était organisé en Belgique. Les habitants de ce pays recevaient dans leur boîte aux lettres un questionnaire à l’aspect un brin solennel, auquel ils étaient tenus de répondre. Un exercice fastidieux, mais combien utile ! En 2011, la série s’arrêtera, au grand dam de certains chercheurs, qui ont poussé un coup de gueule dans la revue Regards économiques (n° 67).

Isabelle Thomas (géographe, UCL), Ann Verhetsel (économie spatiale, université d’Anvers) et Vincent Lorant (sociologie médicale, UCL) livrent un dernier baroud d’honneur en faveur des données très fines recueillies par l’Institut national de statistique. Déjà rebaptisée autrement, l’  » Enquête socio-économique générale  » de 2001 avait obtenu la participation de 96,9 % des personnes inscrites au Registre national (une hausse de 3 % par rapport à l’exercice précédent).

 » Ce recensement a permis d’étudier des facteurs environnementaux (telle la pollution) ou macrosociétaux (tels le capital social ou la mixité) qui, au-delà des caractéristiques personnelles, peuvent affecter la santé des individus, soulignent les chercheurs. Des enquêtes par échantillons et sondages ne permettront pas d’obtenir le même résultat. Autre exemple : on ne disposera plus d’information exhaustive sur les navettes. Les enquêtes de mobilité peuvent compléter de façon très intéressante les recensements, mais elles ne les remplaceront jamais. On se prive définitivement d’une vision spatiale complète des différences locales. Ainsi, certaines communes flamandes ont un profil statistique proche de celui de communes wallonnes, et inversement. « 

Le relais européen

Nostalgie, nostalgie ? La disparition du recensement a été programmée dès 2000 par le Conseil des ministres. Dans une réponse récente au sénateur Marc Elsen (CDH), le ministre pour l’Entreprise et la Simplification, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), s’est voulu rassurant :  » La Direction générale de la statistique a développé des méthodes alternatives visant à collecter des données socio-économiques, en faisant appel à une ou plusieurs banques de données existantes ou à créer.  » De fait, les ressources statistiques ne manquent pas en Belgique : Registre national, Banque-Carrefour de la sécurité sociale, Banque-Carrefour des entreprises, base de données cadastrale de l’administration générale de la documentation patrimoniale, base de données de l’enseignement et des diplômes délivrés, etc. Encore faut-il en obtenir l’accès et pallier leurs lacunes.

Les acteurs concernés, dont les Régions et Communautés, doivent aussi s’entendre sur la nouvelle formule à mettre en place. Les concertations sont toujours en cours. Heureusement, la Belgique ne pourra pas rester encore longtemps dans le flou artistique, car l’Europe a, elle aussi, besoin de chiffres.  » L’ensemble des tableaux que les Etats membres doivent lui fournir, en vertu du règlement de 2007, est beaucoup plus important que les informations collectées auprès de la population belge en 2001, insiste Vincent Van Quickenborne. Je suis persuadé que notre nouvelle méthode de travail satisfera le monde scientifique, à un coût nettement inférieur pour les autorités et sans qu’il faille interroger chaque citoyen.  » N’empêche : la disparition programmée de cet outil modèle hérité du xixe siècle, que la révolte des bourgmestres flamands de 1947 avait déjà privé de son volet linguistique, est une manifestation supplémentaire de l’évaporation de la Belgique et d’un certain esprit universaliste.

Marie-Cécile Royen

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