De la poudre aux yeux

Alexandre Charlier
Alexandre Charlier Journaliste sportif

Frank Vandenbroucke est devenu Francesco Del Ponte pour courir avec un peloton d’amateurs en Italie. Dernière frasque en date d’un homme dévoré par le cyclisme. Retour sur une carrière qui a mal tourné….

S’il n’y avait, derrière ce guignol que l’on ne voit plus guère déguisé en cycliste professionnel, un gars de 31 ans, père de deux enfants, on se régalerait de sa dernière frasque, de son énième déraillement. Frank Vandenbroucke, éternelle future étoile du cyclisme belge, a participé à Inverno (Italie), le mercredi 23 août dernier, à une course réservée aux amateurs en usurpant son identité.  » Pour soigner ma condition « , a vaguement justifié le Belge. Problème : même s’il n’a plus gagné de courses ces dernières saisons, il ne passe toujours pas incognito. Il s’est inscrit sous le nom de Francesco Del Ponte, dévoilera bien vite le quotidien italien Gazzetta dello Sport. Et avec une licence falsifiée, sur laquelle  » quelqu’un  » avait apposé la photo de son non moins illustre compatriote… Tom Boonen ! A un kilomètre de la ligne d’arrivée, Frank a quitté le peloton pour rejoindre, semble-t-il, son domicile actuel, proche de Milan. Boonen a souri. Vandenbroucke, lui, a parlé d’une  » faiblesse « .

Cela fait six ans, depuis un triomphe sans doute frelaté à Liège-Bastogne-Liège, que le  » successeur de Merckx  » est coupable de réguliers égarements. S’il défraie toujours la chronique, c’est le plus souvent dans la rubrique des faits divers. Frank pédale dans le vide mais a la chance de toujours exister.

Malgré un palmarès ridicule par rapport à son talent, on lui taille un destin mythique. Le public belge est respectueux de ses monuments, au premier rang desquels figure Eddy Merckx. Et ce public a mis longtemps à admettre que Frank Vandenbroucke et le  » Lion des Flandres « , Johan Museeuw, ont bel et bien usé d’artifices, se sont dopés, pour affoler chronos, foules et pavés.

Marc Delire, alors à la RTBF au début 2000, l’a appris à ses dépens. Envoyé à Draguignan (France) pour rencontrer le Hennuyer, Delire patiente quelques heures avant de pouvoir réaliser son interview. Naturellement, le journaliste évoque le dopage. Frank se cabre. Parle de déloyauté. D’accord non respecté. Le coureur se lève et interrompt l’entretien. L’incident est diffusé tel quel par la RTBF. L’image a frappé les esprits des téléspectateurs. Elle fera du bruit.  » Mails, lettres, coups de téléphone : j’ai eu mon lot de commentaires et de manifestations hostiles, témoigne Marc Delire, aujourd’hui passé chez Belgacom TV. J’avais touché une icône. Je ne pouvais pas. Moi, je pensais juste faire mon métier en posant les questions qui me semblaient naturelles. Celles que les gens sont en droit de se poser. Je connaissais Frank. Une grande gueule mais que j’appréciais. Je n’ai plus eu de contacts avec lui depuis ce fameux reportage.  »

Schizophrène, Vandenbroucke ? Oui, selon bon nombre de proches. Son oncle Jean-Luc a connu une belle carrière et reste actif dans le vélo. Ses parents, eux, exploitaient et tiennent toujours un café à Ploegsteert.  » Un endroit ni flamand, ni wallon, ni français, mais pas franchement favorisé… « , témoigne un initié du coin. Frank était trop fort en catégories scolaires et juniors. Extraordinaire même. Il écrasait tout le monde chez les jeunes. Un talent incroyable. Mais il a vite été mis sur un piédestal. Et son environnement ne l’a pas aidé. Pensez que son propre cousin a épousé sa première femme avec qui il avait eu un enfant…

Brûlé par une gloire régionale précoce et étiqueté successeur du cannibale Eddy Merckx dès ses 20 printemps, Frank s’est vite brûlé le corps et les neurones. Grande vie, virées, pognon, jolies nanas et cocktail de produits dopants ne l’ont pas aidé à supporter son statut. Et le monde du cyclisme l’a broyé. Dépression, blessures, éclipses plus ou moins longues, fugues, absences injustifiées à des rendez-vous, disputes familiales étalées à la Une des journaux : Frank Vandenbroucke perd les pédales. Le coureur vacille. L’homme titube. Puis s’enfonce.

Victime d’un système

Il ne serait pas fair-play de s’acharner sur Vandenbroucke, victime, aussi, d’un système. Très vite élevé au rang de star, ce fils prodige de cafetier a biberonné trop tôt de la dope à la place du lait. Il n’a pas fait le tri entre bonnes et mauvaises fréquentations, se transformant de surcroît en jouet d’un monde cynique, complice de sa déchéance.

Ses équipes Lotto (1994-1996), Mapei (1996-1998), Cofidis (1999-2000), Lampre (2001), Domo-Farm Frites (2002), Quick Step-Davitamon (2003), Fassa Bartolo (2004), MrBookmaker (2005) et Unibet.com (2006) ont toutes utilisé Vandenbroucke. Pour espérer gagner, bien sûr. Pour le coup de pub, aussi. Après son année de gloire, en 1999, toutes ces formations ont  » voulu redonner une dernière  » chance au Belge, jamais refroidies par la cruelle vérité de la course. De la philanthropie ?

Quelle hypocrisie de voir Koen Terryn, le patron d’Unibet.com, dernière équipe en date de Frank, déclarer,  » au nom de l’éthique  » :  » Je ne veux plus de Vandenbroucke dans mon équipe. J’ai été suffisamment patient, mais, à l’arrivée, aucun résultat valable n’a récompensé cette indulgence. On peut compter ses jours de course sur les doigts des deux mains. Nous souhaitons intégrer le  » ProTour « . Mais, avec des gens comme VDB, nous perdons notre crédibilité en tant que formation cycliste. J’ai en effet cru à son retour. Il faut croire que je me trompais. C’est vraiment regrettable.  »

Que l’on se rassure : Unibet. com a reçu depuis son sésame pour rejoindre le  » Pro Tour « , qui réunit les formations invitées aux plus grandes courses (classiques, Tour de France, etc.). Avec son manager, Hilaire Van der Schueren, proche de VDB, Terryn pouvait-il ignorer l’emballage qui collait à son beau  » produit  » ? Sur le plan du marketing, le label Vandenbroucke reste porteur. Le public oublie vite les affaires mais a la mémoire des marques. Quand Terryn décide en 2005 d’accueillir le coureur à la dérive chez MrBookmaker, il fait du business. L’équipe est rebaptisée Unibet.com, un an plus tard. C’est une société suédoise spécialisée dans les paris sportifs. Unibet.com a profité de Vandenbroucke pour ancrer sa marque dans l’esprit des gens. Et, au nom d’une respectabilité encore à trouver, la société a simplement, et à bon droit, rompu le contrat avec VDB à la mi-juillet, soit un gros mois avant que ce dernier ne s’égare avec une bande d’amateurs en Italie…

Vandenbroucke assure à qui veut l’entendre que  » les grandes années reviendront « . Il semble déjà avoir trouvé l’équipe qui lui redonnera son énième  » dernière chance « : la formation italienne Acqua e Sapone. Au moins, si ce cirque pouvait lui permettre de ne pas prendre la roue de Marco Pantani, décédé d’une surdose de cocaïne le 14 février 2004, ce serait la meilleure des choses ! La RAI tournera en septembre  » Le Pirate « , un film consacré au pauvre champion italien, toujours extrêmement populaire. On souhaite à Vandenbroucke de pouvoir assister un jour, et en famille, au film de sa propre vie…

Alexandre Charlier

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire