David Peace repart en guerre

Cette fois, la scène du crime se situe à Tokyo, après la défaite du Japon, où ce digne héritier de James Ellroy explore à nouveau la barbarie humaine. Percutant

Le dernier bouton de la chemise est fermé. Le col peine à enserrer le cou. Le cheveu est ras. De grandes lunettes viennent chahuter un visage long et fin. David Peace, 40 ans, ressemble au cliché de l’Anglais intello. Poli, ongles bien coupés, élocution facile, pelouse tondue. Mais lorsqu’il s’assoit sur ce canapé rouge sang installé au fin fond d’une librairie pour lire un extrait de son dernier roman, Tokyo année zéro, la tasse de thé vole en éclats et le nuage de lait se transforme en encre noire.

La voix se fait sombre. Le souffle se fait court. David Peace attaque à peine sa lecture que déjà les images se bousculent. Phrases courtes. Mots lâchés en rafales. Répétitions. Tokyo, 1945. L’empereur signe la capitulation. Le Japon est à genoux. L’inspecteur Minami s’occupe du corps d’une femme assassinée. Prélude à d’autres morts. 1946. Les vainqueurs sont dans les rues. La fierté du peuple japonais est ensevelie sous les ruines. Minami enquête sur un crime. Puis un deuxième. Il cherche. Il se cherche. Une issue. Pour lui. Pour son pays.

David Peace relève la tête. Sourit. L’exercice, qui plongea pourtant l’auditoire dans une attention tendue, ne l’a pas marqué une seule seconde.  » Pour tout vous dire, quand je finis un paragraphe ou un chapitre, je le lis à haute voix pour entendre si le rythme fonctionne.  » C’est ainsi qu’il a écrit Tokyo année zéro, c’est ainsi qu’il écrivit son quatuor du Yorkshire – 1974, 1977, 1980, 1983 – portrait plein de bruit et de fureur d’une Angleterre hantée par la crise, la corruption. Et les 13 meurtres de Peter Sutcliffe. Ce fait divers lui a servi de détonateur. Pour Tokyo année zéro, David Peace s’est également inspiré d’une affaire réelle.  » Je cherche à comprendre ce qui relie une époque à ses crimes. Ce faisant, j’essaie d’expliquer ce qui déclenche, chez l’être humain, cette barbarie. Dans ce nouveau livre, je voulais raconter un pays battu et décrire la façon dont chacun, à sa manière, essayait de recouvrer une identité, un nom, un avenir.  » Toutes choses que porte en lui le roman noir, pour peu qu’il affiche haut ses ambitions. Et qu’il soit l’£uvre d’un véritable écrivain. Ce qui est le cas.

David Peace sourit encore. Il vient de recevoir l’édition américaine de Tokyo année zéro, sur laquelle est inscrite, en lettres d’or, ou presque, une critique élogieuse d’Ellroy.  » Quand je l’ai lue, ce fut le plus beau jour de ma vie.  » Un peu de soleil dans un monde de brutes. l

Tokyo année zéro, par David Peace. Trad. de l’anglais par Daniel Lemoine. Rivages/Thriller, 365 p.

Eric Libiot

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