Courbit Paris sur l’avenir

Après sa rupture avec l’héritière de L’Oréal, l’homme d’affaires doit rassurer sur la situation financière de son groupe. Il pourrait se recentrer sur l’audiovisuel et les jeux en ligne aux dépens du hasardeux secteur de l’énergie.

« Je pensais être dans un environnement apaisé et je me suis retrouvé au c£ur d’une polémique insensée, dont je ne voyais pas l’issue. Dans un tel contexte, il m’a paru plus raisonnable de demander de me retirer, car dans les faits on ne peut le faire seul. La Financière de l’Arcouest doit accepter que nous nous retirions.  » Il est 16 heures, ce mercredi 15 juin, dans les bureaux parisiens du groupe Lov et le patron des lieux, Stéphane Courbit, explique les raisons qui l’ont conduit à adresser à Liliane Bettencourt, quelques heures plus tôt, un courrier dans lequel il signifiait à la riche héritière son intention de mettre fin à l’accord qui les liait. Détendu, tiré à quatre épingles, l’homme est à l’évidence soulagé de cette rupture, heureux de sortir de ce qui, de plus en plus, s’apparentait, à ses yeux, à un vrai  » guêpier « à L’héritière de L’Oréal avait en effet, il y a quelques mois, décidé d’investir 143 millions d’euros dans LG Industries, une société ombrelle qui abrite l’ensemble des activités de l’entrepreneur, présent à la fois dans les jeux et paris en ligne, la production audiovisuelle et l’énergie. Jusqu’à ce que tout implose, et que n’éclate le énième épisode de cet invraisemblable imbroglio familial.

Dès le lundi 13, la décision de Stéphane Courbit était prise. Il n’était pas question pour l’ancien patron du groupe audiovisuel Endemol France, le producteur de Loft Story –  » l’enfant gâté de la télé-réalité « , comme l’ont baptisé les médias -, de revivre l' » enfer  » du feuilleton France Télévisions ! Au printemps 2010, il avait alors dû renoncer à se porter candidat à la reprise de la régie publicitaire de France 2 et de France 3, après que la presse l’eut étrillé, invoquant un risque de conflit d’intérêts. Redoutant une campagne du même ordre, Courbit a préféré prendre, cette-fois-ci, les devants :  » J’ai mieux à faire « , dit-il. En l’occurrence, poursuivre, loin des projecteurs, la construction de son groupe – un Meccano aux allures de conglomérat. Une tâche plus en accord avec la nature profonde de ce taiseux.

Mais c’est pour lui un retour à la case départ. Voilà plusieurs mois déjà que Courbit, chaperonné par Alain Minc et épaulé par Triago, un cabinet spécialisé dans la levée de fonds, arpentait le monde des affaires en quête de soutien financier. Après avoir discuté, en vain, avec quelques sociétés de capital-investissement, à l’image d’Axa Private Equity, l’industriel avait fini par approcher Liliane Bettencourt, grâce à l’entremise de l’un ses avocats, Pascal Wilhelm, également conseil de la milliardaire. Stéphane Courbit a donc repris son bâton de pèlerin, avec la volonté de dénicher une solution alternative dans les prochaines semaines. Soit en trouvant un accord avec une structure patrimoniale, un  » family office « . Soit en se retournant vers l’un de ses actionnaires, au sein du solide tour de table qu’il s’est constitué et où se côtoient le patron de LVMH, Bernard Arnault, et les groupes Agnelli, De Agostini, Louis Dreyfus ou encore Bolloré.

 » Mais je ne suis pas dans l’urgence « , soutient Courbit, manifestement agacé par les bruits de la ville sur l’état de santé de son groupe, prétendument en perdition. Lui assure que cet argent frais n’est pas fait pour combler de  » fantasmatiques  » déficits, mais bien pour  » procéder à de futurs développements « . Quatre années après avoir créé sa société avec une mise de départ de 240 millions d’euros – une coquette dot, fruit de ses années passées aux commandes d’Endemol -, il dit n’avoir aucun problème de trésorerie et affiche un actif évalué à 600 millions d’euros.

Depuis quelque temps, il n’empêche que les interrogations se multiplient. L’homme d’affaires prometteur, au parcours sans fautes, aurait-il perdu la main ? Ses choix entrepreneuriaux sont contestés.

Il y a d’abord l’univers des paris en ligne, où, avec BetClic, le patron semble plutôt bien installé. Contrairement à la plupart de ses concurrents, il n’a pas trop eu à souffrir de la dégringolade, au premier trimestre, du volume des paris sportifs en France (- 26 %). Et pour cause : sur les 9 milliards d’euros de mises enregistrés depuis le début de l’année par BetClic, seulement 2 ont été réalisés dans l’Hexagone et le reste, c’est-à-dire les trois quarts de son activité, à l’étranger. Résultat : en 2011, cette filiale devrait réaliser un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros et un bénéfice net de 15 millions. Pour peu que la fiscalité française évolue à l’automne prochain et s’aligne sur celle, attractive, des sites anglo-saxons, le marché tricolore décollera. Et, avec lui, la rentabilité des principaux opérateurs.

Vient ensuite la télévision, avec Banjay. Cette société recouvre les activités audiovisuelles de Lov. Avec une croissance de 8 % en 2010, un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros et un bénéfice de 44 millions, elle occupe aujourd’hui le cinquième rang mondial. Courbit, qui n’a pas cessé de racheter des  » boîtes de prod’  » aux quatre coins de l’Europe (dont celles de Nagui et de Cauet, en France) et aux Etats-Unis, vise un doublement de ses bénéfices d’ici à trois ans.

Des investissements en centaines de millions

Voilà pour le versant prometteur de l' » empire « . Reste maintenant sa face escarpée : l’énergie. Avec Direct Energie, dont il possède 40 %, au côté du groupe Louis Dreyfus, le voilà encalminé dans un secteur dévoreur de capitaux où il peine à se faire une place. Structurellement déficitaire, cette activité, dans laquelle il a déjà englouti 250 millions d’euros, reste fragile pour celui qui sait qu’il ne jouera jamais dans ce qu’il appelle la  » cour des grands « . Car, si sa filiale s’est imposée avec Poweo sur le marché des fournisseurs alternatifs d’électricité (quelque 620 000 clients), sa croissance reste lente et coûteuse. Les discussions, en vue d’une fusion, avec Poweo justement, sont au point mort. Et le coût des investissements nécessaires pour développer Direct Energie se monte à plusieurs centaines de millions d’euros. Des sommes qu’il n’a pas.

Conscient des enjeux, Stéphane Courbit dessine du coup l’avenir en évoquant pour la suite, et en pointillé, deux hypothèses :  » Soit nous parvenons à trouver un modèle économique sur un marché de niche, comme Xavier Niel dans la téléphonie, et nous gagnerons. Soit nous chercherons un partenaire industriel étranger de poids pour nous épauler. « 

Et s’il sortait tout simplement de l’énergie ? La rumeur court déjà. Il est vrai qu’avec deux fers au feu, pourquoi continuerait-il de s’épuiser dans un secteur dominé par des mastodontes ? Du coup, beaucoup tablent à présent sur un recentrage sur l’audiovisuel – avec ses débouchés sur Internet – et l’univers des jeux et paris en ligne. De quoi largement occuper l’emploi du temps de l' » enfant gâté « .

RENAUD REVEL

« Je me suis retrouvé au c£ur d’une polémique dont je ne voyais pas l’issue « 

Il cherche un nouveau soutien financier mais n’est  » pas dans l’urgence « 

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