Couplets gagnants

Le premier sort Infréquentable, un disque sombre et swing ; le second, Quinze Chansons, un album très pop. Pour la première fois, ces deux chanteurs des petits riens de la vie accordent une interview ensemble, le temps de partager théière, passions. et petits agacements entre amis. Mais de quoi en avez-vous marre, messieurs ?

Vous avez surgi au début des années 2000, en même temps que Sanseverino, Camille, Cali ou Jeanne Cherhal. Vous n’en avez pas marre de ce label  » nouvelle scène française  » ?

E Bénabar : Non, car le cousinage, en tout cas avec Vincent, est indéniable. Les thèmes sont semblables, mais le traitement est différent.

Vincent Delerm : La première fois que j’ai entendu parler de toi, je me suis dit :  » Putain, y a déjà un mec sur le créneau !  » Et puis j’ai écouté ton disque… Je me suis retrouvé dans tes chansons, notamment dans Y a une fille qu’habite chez moi. Et je pense que tu aurais pu écrire mon Monologue shakespearien. Après, chacun a son style.

Vous a-t-on déjà confondus ?

E B. : Une fois, quelqu’un m’a lancé :  » Ah bon ? T’es pas Delerm ? J’t’aime bien quand même.  » Sinon, on m’a déjà pris pour Axel Bauer.

V. D. : Et moi pour Christophe Willem. J’ai signé des autographes :  » Amitiés, Christophe. « 

B. : Ce qui nous rapproche, c’est notre côté rigolo un peu triste.

V. D. : Et une vision semblable de l’amitié. Cette peur viscérale d’être déçu.

Bénabar, vous avez coécrit, il y a quelques années, les 71 épisodes de H, la série de Canal + avec Jamel Debbouze et le duo Eric et Ramzy. Vous n’en aviez pas marre ?

E B. : Pas du tout. H m’a énormément apporté. J’ai appris à ne pas sacraliser l’écriture, à virer un texte dans la seconde… Un texte, c’est d’abord une émotion. Puis de l’efficacité.

Les spectacles que vous donnez tous les deux sont du pur entertainment. D’où vous vient ce goût du divertissement comique ?

E V. D. : C’est dans ma nature. Et puis, au départ, je jouais du piano-voix à la puissance 10 000. Il fallait contrebalancer avec une petite mise en scène caustique…

B. : Faire le mariole en concert, surtout à mes débuts, relevait d’un manque de confiance en moi. Quand je prépare la cuisine pour mes amis, j’en fais aussi toujours un peu trop. Provoquer le rire des spectateurs est très gratifiant. Le paiement est direct. Mais, sur scène, je ne me livre pas entièrement.

C’est-à-dire ?

E B. : Je ne suis pas le plus grand gai luron de la terre. Alors j’évite les chansons tristes… Certains trouvent Vincent terne, chiant, avant de le voir sur scène. Moi, c’est l’inverse. Les gens pensent que c’est la fête à Neuneu, que je fais le con en jouant de la trompette et en bouffant du saucisson… Mais ce que j’inspire, je l’ai sans doute cultivé avec mon nom de clown, avec l’utilisation des cuivres…

V. D. : On provoque souvent soi-même ce genre de clichés pas cool. Mon premier album donnait cette image voulue d’étudiant de la Sorbonne enfermé dans sa piaule. Mais l’artiste n’est pas qu’un puits de sensibilité, un mec avec une écharpe qui marche, l’air inspiré, dans une forêt. J’ai beaucoup emprunté à l’humour des grandes années Canal +, aux Deschiens, au  » Centre de visionnage  » d’Edouard Baer. Je leur dois le rapport au silence dans mes spectacles.

D’aucuns pensent que vous enregistrez toujours le même disque. Vous n’en avez pas marre de ces a priori ?

E B. : A la fois, il ne faut pas avoir le complexe de Tchao Pantin : vouloir à tout prix faire l’inverse de ce que l’on est. Avec cet album-ci, j’ai l’impression de reprendre une conversation interrompue, même si l’esprit est plus rock.

V. D. : Je ne suis pas fanatique des chanteurs super-brillants capables de tout casser. Je place Souchon au-dessus de Gainsbourg parce qu’il se ressemble davantage à chaque album.

On vous a beaucoup caricaturés en chanteurs bobos ressassant le quotidien. Dernièrement, les attaques sont même venues de vos collègues…

E B. : Benjamin Biolay s’est excusé. Quant à Michel Fugain, on n’a jamais autant parlé de lui que depuis qu’il nous a craché à la gueule. Pour reprendre une phrase de Vincent, si c’était Eddy Mitchell qui ne m’aimait pas, là, oui, ça me foutrait les boules !

V. D. : Les médias ont de l’appétit pour ce genre de potins, d’engueulades. Et puis ça prend des proportions philosophiques. Il y aurait donc une sorte d’interdiction de chanter le quotidien ? Ça devient de l’ostracisme !

B. : Indépendamment de l’idée de qualité, nous faisons des chansons académiques. Cela peut déplaire… Mais je pense qu’on a répondu à un désir du grand public de renouer avec la bonne vieille chanson française.

V. D. : Nous, on aime les chansons avec trois couplets et trois refrains, et on a envie que ça marche. Dans les années 1990, les chanteurs à texte avaient un peu honte d’avoir du succès. Dominique A, par exemple, en parle très bien.

B. : Moi, j’assume le fait d’être écouté par ma concierge, de passer en musique de fond au Monoprix ou à la radio. Et je me sens la responsabilité de ne pas tomber dans le pathos. Je ne crois pas qu’une chanson ait une grande importance, mais parfois, quand on est coincé dans les embouteillages et que l’on s’est fait plaquer par sa meuf, on peut la prendre au premier degré.

Votre association, le Vrac (Vin rouge après le café), semble en stand-by. En aviez-vous marre ?

E B. : Le vin passe moins bien, à l’approche de la quarantaine… Du coup, le Vrac débouche souvent sur une après-midi culturelle : la sieste.

De quoi en avez-vous vraiment marre ?

E V. D. : De pas grand-chose. Bon, j’ai choisi un appartement qui donne sur une station de métro, et elle est en travaux…

B. : Moi, je passe beaucoup de temps devant la télé et je ne supporte plus les émissions de déco et cette conception débile de la  » pièce à vivre « . Quid des pièces à mourir ?

Bénabar : Infréquentable, Jive/EpicSony/BMG. A l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, le 20 février 2009. Au Cirque royal, à Bruxelles, le 21 février 2009. Et en tournée.

Vincent Delerm : Quinze Chansons, tôt Ou tard. Au 140, à Bruxelles, les 20 et 21 février 2009.

Propos recueillis par Gilles Médioni

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