Condamné à mort, condamné à tort?

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Solveig Anspach signe avec Made in the USA un document implacable et poignant sur la peine de mort

D’abord, Haut les coeurs! et, maintenant, Made in the USA. Deux films et deux combats contre la mort. Solveig Anspach nous narrait, voici deux ans, la lutte d’une jeune femme enceinte et déterminée (Karin Viard) contre le cancer. Elle nous rapporte aujourd’hui les derniers efforts pour arracher un homme (Odell Barnes) à la peine capitale. Mais, si la fiction du premier film offrait une fin ouverte, laissant espérer le triomphe de la vie, la réalité du second se referme sur un constat d’échec et de deuil…

« Je ne me suis aperçue de la parenté entre ces deux sujets qu’après coup, commente Solveig Anspach. Il s’agit de deux êtres qui se bagarrent pour survivre, l’une contre ses propres cellules, l’autre contre la société, depuis sa cellule… Tous deux se révoltent aussi contre le mot de la loi et de l’autorité: pour l’héroïne de Haut les coeurs!, la loi des médecins, qui lui disent de sacrifier la vie de son bébé pour préserver la sienne, et, pour Odell Barnes, celle d’un système judiciaire injuste. J’aime les personnages de rebelles, comme j’aime les histoires fortes, mettant en jeu la vie et la mort. »

De l’intime au politique

Si Haut les coeurs! jouait sur une identification profonde au personnage d’Emma, Made in the USA se construit sur une absence, puisque Odell Barnes n’y apparaît pas, étant seulement présent par ses lettres qu’un autre lit en voix « off ». Du registre de l’intime, Solveig Anspach y passe à un autre, plus politique, mais sans renoncer aux moyens du cinéma pour ceux du journalisme. Si son nouveau film est remarquablement documenté, il n’en déborde pas moins les limites du style reportage pour s’afficher en écran large, adoptant aussi une structure narrative proche de celle d’un film de fiction.

Celui-ci s’ouvre sur le prêche d’un orateur noir expliquant à son public attentif l’enjeu de l’élection présidentielle à venir. Il encourage les fidèles à aller voter, stigmatisant le « palmarès » du candidat George W. Bush en matière d’exécutions capitales dans ce Texas dont il est le gouverneur, et où Odell Barnes attend sa mise à mort très proche. Les recours du condamné ont tous été épuisés sans que la machine cesse son sinistre compte à rebours. Coupable ou non du meurtre sauvage d’Helen Bass, une amie de sa mère, l’homme de 31 ans s’achemine désormais vers le rituel glaçant de l’injection létale…

« Avant Haut les coeurs!, j’avais travaillé à un projet de documentaire-fiction autour de l’oeuvre du romancier James Ellroy, explique Solveig Anspach. Malgré une abondante préparation et de nombreuses rencontres avec lui, le film ne s’était pas fait. J’avais pourtant très envie de raconter une histoire américaine (1). Les films qui se font prennent parfois leurs racines dans ceux qui ne se sont pas faits! Quand j’ai lu un long article sur Odell Barnes dans Libération, quand j’ai vu que, depuis sa prison, il correspondait avec des Français, souvent jeunes, dévoués à sa cause, je me suis sentie touchée, attirée par son histoire. Par ce qu’elle avait de particulier et aussi de – malheureusement – représentatif de tant d’autres histoires. »

Correspondant avec une journaliste américaine, Cindy Baski, qui prépara l’enquête et avec laquelle elle cosigne le film, Solveig Anspach partit donc pour les Etats-Unis, et plus précisément vers Huntsville, au Texas, et sa prison tristement célèbre pour le nombre d’exécutions capitales qui s’y sont déroulées ces dernières années. « J’ai appris toute l’affaire en janvier 2000, et Barnes a été exécuté le 1er mars, se souvient la cinéaste. Je suis donc arrivée tout à la fin du processus, deux semaines avant la date fatidique. Nous pensions que l’exécution serait postposée, puisqu’une contre-enquête faisait plus qu’introduire un doute sur sa culpabilité. Nous espérions également recevoir un droit d’accès au prisonnier. Ces deux espoirs ont été vite déçus… « 

Le système et ses failles

« Au fil du temps, explique la réalisatrice, Odell Barnes avait développé une vraie réflexion sur la société, et un discours argumenté qu’il pouvait partager avec d’autres. C’est sans doute ce qui lui a permis de susciter en France l’intérêt des militants contre la peine de mort. Aux Etats-Unis, il n’était qu’un condamné parmi d’autres… » Les lettres reprises en voix « off » par le film ont une force et une précision frappantes, d’autant qu’elles viennent d’un homme qui reçut au départ une faible éducation. « Odell Barnes est un de ces exemples du fait que, très souvent, l’homme qu’on exécute n’est plus tout à fait le même que celui qui a (ou non) commis un crime et qu’on a ensuite condamné », relève Solveig Anspach.

La question de la culpabilité de Barnes ne reçoit pas de réponse définitive dans Made in the USA. Quelle serait d’ailleurs la portée d’un film contre la peine de mort si le condamné était clairement innocent? On pourrait rejeter sa condamnation, sans pour autant remettre en cause le système. Or voici précisément l’objet du travail d’Anspach: donner à voir ce système, où le principe de justice célébré avec poigne au nom de Dieu tout-puissant se retrouve malmené par des défauts criants. Comme, par exemple, le fait qu’une bonne défense coûte cher et fait donc presque toujours défaut à un accusé pauvre (Noir, mais riche, O.J. Simpson put s’offrir les ténors du barreau qui le firent acquitter). Comme, aussi, le fait que les procureurs comme les juges sont élus et se sentent dès lors obligés d’obtenir des résultats très vite, d’arrêter et de condamner quelqu’un sans tarder, de flatter aussi un public majoritairement favorable à la peine capitale. Comme, enfin, le fait que le choix de l’avocat commis d’office est volontiers le fruit de petits arrangements où l’intérêt de l’accusé à défendre est le dernier critère retenu…

Beaucoup d’images du film hantent la mémoire. Comme celles du procureur Macha, répétant obstinément qu’aucun élément neuf ne pourrait jamais remettre en cause sa conviction qu’il faut tuer Odell Barnes. Comme, surtout, celles de l’extérieur de la prison, avec le cortège des témoins du condamné, et de ceux de la victime, qui montent sur le perron pour assister à l’exécution, puis en redescendent lentement après celle-ci.

Une seule chose étonne un peu dans l’excellent documentaire réalisé par Solveig Anspach: le mot de la fin laissé à un responsable fort éloquent de la Nation of Islam, mouvement noir musulman connu pour ses débordements antisémites. « J’ai beaucoup hésité, concède la cinéaste, j’ai questionné des amis, juifs notamment. La conclusion fut qu’il fallait, quel qu’en soit l’auteur, inclure cette analyse résumant idéalement les choses et donnant, par une formule frappante, son titre à mon film. »

(1) La réalisatrice est née en Islande d’un père américain et d’une mère islandaise. Elle a étudié le cinéma en France où elle vit toujours aujourd’hui.

Louis Danvers

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