Comment vivre avec les ados

Internet, SMS, jeux vidéo… Leur planète est devenue une insondable galaxie. Maîtres du monde virtuel, ils prétendent tout contrôler. Y compris le danger. Exclus du jeu, parfois à bout de nerfs, les parents cherchent le mode d’emploi. Bonne nouvelle : les adultes sont moins désarmés qu’ils ne le pensent.

Il n’en finit pas de repousser sa mèche d’un mouvement de menton, garde les yeux rivés à son portable quand on lui adresse la parole, réclame 100 euros à sa mère pour l' » affaire du siècle  » – un jean Dior – connaît le prix de la vodka au litre, exige un forfait 3G illimité pour Noël et menace de ne plus rentrer au bercail si on l’empêche de  » respirer « . Il est adolescent en 2009. Sa version féminine est assez proche, qui ne rate pas une seule des 12 collections annuelles d’H & M, balance ses photos de vacances sur la Toile, s’épanche à longueur de soirée sur sa page perso mais interdit formellement  » toute intrusion  » dans son intimité.

Entre 12 et 15 ans, 1 ado sur 3 gère quotidiennement son blog et près de la moitié possède un accès à Internet de sa chambre à coucher. Une révolution ! Les jeunes consacrent plus de deux heures par jour à leur monde virtuel, recensent, en moyenne, 94  » contacts  » dans leur téléphone et 86  » amis  » sur les sites communautaires. Leur monde réel est plus redoutable encore :  » A l’âge où d’autres découvraient leur premier French kiss, 16 ans, les jeunes pratiquent désormais couramment fellation et cunnilingus « , constate, un peu effaré, le pédopsychiatre Stéphane Clerget. L’alcool, le tabac, le cannabis, l’ecstasy font aussi partie de leur paysage. On l’aura compris :les ados du xxie siècle n’ont plus un espace, mais une galaxie propre, hermétique aux adultes et chaque jour plus complexe.

Comment garder la bonne distance ? Rester présent sans être pesant ? Ces questions taraudent tous les parents d’ados depuis la découverte de l’âge ingrat. Mais, cette fois, le défi se révèle plus ardu qu’ils ne l’avaient imaginé. Aux affres classiques de l’adolescence s’ajoutent les difficultés de la société moderne : le tsunami technologique, l’incertitude économique, l’éclatement du cercle familial, le culte du paraître, de la consommation et de la surinformation. On croyait les conflits entre générations enterrés par des années de dialogue et d’écoute, et l’on découvre des familles rongées par l’inquiétude et les malentendus.

Maîtres de l’espace virtuel, les ados se croient les égaux de leurs aînés,  » légitimes à imposer leurs règles à des adultes discrédités « , observe le sociologue David Le Breton. Leurs  » fossiles  » ont perdu le contrôle et leur autorité.  » Les parents sont déboussolés « , confirme le psychiatre Xavier Pommereau.

Comment, en effet, fixer les limites lorsqu’on ne mesure pas soi-même la réalité des dangers ?  » J’ai l’impression d’avoir un enfant de 3 ans à la maison, confie un père de famille pourtant aguerri. Sauf que celui-là me dépasse d’une tête et s’enferme dans un monde sur lequel je n’ai aucune prise.  » A quel âge faut-il autoriser l’accès libre à Internet, la première sortie, l’alcool ? Faut-il obliger un ado de 15 ans à dormir quand il écume les nuits blanches ? Eteindre son ordinateur sans préavis ? Comment contrôler ses sorties ? Son langage ? Bref, comment accompagner sur le chemin de leur vie d’adulte ces êtres dont tous les codes nous échappent ?  » J’ai sans arrêt l’impression d’être prise pour une imbécile « , avoue une mère divorcée à bout de nerfs. Les vicissitudes de sa vie amoureuse n’arrangent rien à l’affaire.

âmes sensibles, s’abstenir

Partagés entre deux foyers, les enfants du divorce connaissent par-dessus tout le poids du chantage affectif. Parvenus à l’adolescence, beaucoup n’hésitent pas à sortir l’artillerie lourde. Alcool, filles, shit, redoublements, films porno, Julien, 16 ans, a déjà presque tout consommé dans sa courte existence. Fait surprenant : ses parents séparés sont au courant de chacune de ses tribulations. Il y a quelques semaines, à peine rentré de colonie de vacances, le garçon se plaignait auprès de son père de ne pas avoir eu assez de capotes dans son sac.  » Il a conclu dès le premier soir « , sourit son géniteur désabusé. Toute leçon de morale sera vaine. Peu après, le jeune Apollon se fera arrêter en pleine nuit après avoir grillé un feu rouge en vélo, avec en poche un stock de cannabis, cette fois…

Âmes sensibles, s’abstenir. Le monde moderne n’est pas fait pour les chérubins.  » 1 enfant sur 2 de fin de primaire a déjà vu une image pornographique « , dénonce le spécialiste Patrice Huerre. A qui la faute ? La télé-réalité, le cinéma, Internet, la publicité précipitent les jeunes sans garde-fou dans un monde adulte dont ils n’ont pas les clefs. Et leur âge n’est plus une limite : dès 13 ans, les films X s’échangent en un clic à l’heure de la récré. A peine pubères, les filles elles-mêmes choisissent l’épilation intégrale pour répondre aux canons du genre.  » Toutes mes copines le font, assure une lycéenne de 17 ans, précisant, sans sourciller : aujourd’hui, les mecs débandent devant le moindre poil. « 

 » Un coup de fouet avant les cours « 

L’alcool lève ce qu’il reste d’inhibitions. Les jeunes boivent plus tôt, et beaucoup plus.  » On voit depuis peu des gamins de 12 ans débarquer aux urgences en coma éthylique « , s’alarme Patrice Huerre. Relation de cause à effet ? Un tiers des premières relations sexuelles ont lieu sous l’emprise de l’alcool. De quoi ravir les professionnels du secteur, qui s’engouffrent dans la brècheà

Naturellement portés vers les extrêmes, les jeunes n’ont désormais qu’à se baisser pour satisfaire leurs pulsions puériles. Nul besoin d’être majeur, ni même d’en avoir l’air, pour boire à volonté. Dans la plupart des grandes villes, des sites Web alimentent en alcool les assoiffés de toute sorte, jour et nuit, sur un simple coup de fil. On s’arrache les prémix, mélanges d’alcool et de sodas concoctés à l’adresse des plus jeunes.  » Les habitués peuvent même se faire livrer leurs barrettes de shit « , témoigne un amateur des quartiers chics.

Enfreindre la loi n’est même plus nécessaire pour  » se mettre à l’envers « . Un nouveau produit, adoré des ados et tout à fait licite, procure un niveau d’excitation proche des meilleurs stimulants : le Red Bull. Vendues librement, les canettes de cette boisson ultracaféinée, qualifiée par certains de  » dopante « , s’écoulent par litres auprès des plus jeunes et affolent les professionnels de santé. Les étudiants en consomment dès 8 heures,  » pour se donner un coup de fouet avant les cours « , disent-ils ; le soir, mélangée à de la vodka pure, cocktail explosif garanti.

Les spécialistes estiment qu’entre 15 % et 20 % des adolescents vont très mal. Grossesses non désirées, anorexie, boulimie, scarifications, conduites à risques : depuis quelques années, les signaux de détresse s’accentuent. Devant la confusion générale, les experts de tout bord battent le rappel.  » Notre société a valorisé l’autonomie à l’extrême en oubliant de lui fixer des règles « , fustige le sociologue François de Singly, qui publie en octobre Comment aider l’enfant à devenir lui-même ? (Armand Colin). L’argent de poche facile – gagné au poker, sur eBay ou par le chantage affectif – entretient le mirage d’une liberté à domicile. Plus libres que jamais dans leur monde virtuel, les nouveaux adolescents au foyer souffrent cependant de ne pas assez  » mériter leur autonomie « , estime l’universitaire.

Inutile de désespérer, bien sûr. D’abord, les récentes découvertes scientifiques le prouvent : la crise d’adolescence perturbe les famillesà depuis que l’homme existe ! Contre toute attente, les chercheurs sont même parvenus récemment à décrypter les comportements insaisissables, cyclothymiques, incohérents et risque-tout de cet âge obscur.

Ensuite, l’espace virtuel n’est pas si affolant. Internet, les blogs, les réseaux sociaux offrent aux jeunes un espace d’échanges et d’expression inédit et précieux. Plus qu’une échappatoire, la Toile est aussi un lieu de confidences et d’informations sans tabous, ouvert à tous, y compris aux plus introvertis. Elle permet au jeune de réintroduire une distance avec des parents parfois trop écrasants, distance sans laquelle ces mêmes jeunes ne pourraient sans doute pas grandir. Enfin, à l’âge où le regard de l’autre tombe tel une sentence, le paravent de l’écran protège. Dissimulé sous un pseudo, l’adolescent redoute moins de s’ouvrir aux autres.

 » Ce qui est inquiétant à 50 ans ne l’est pas du tout à 13 ou 14 « , martèle le psychiatre Serge Tisseron, spécialiste des addictions aux écrans. Les jeux vidéo, par exemple. Contrairement aux apparences, ils permettent aussi aux adolescents de mesurer leur progression… Dissiper certains malentendus permettra aux familles de négocier au mieux ce virage en épingle. Car, avec ou sans connexion Internet, portable dernier cri et jean à la dernière mode, il faudra bien, quoi qu’il en soit, que jeunesse se passe.

l Julie Joly

à peine pubères, les filles choisissent l’épilation intégrale pour répondre aux canons du x

un tiers des premières relations sexuelles ont lieu sous l’emprise de l’alcool

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