Comme le chiendent

Dans Retour en Normandie, Nicolas Philibert a retrouvé les interprètes de Moi, Pierre Rivière…, le film choc réalisé par René Allio en 1975.

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Nicolas Philibert fait partie de ces quelques cinéastes ayant donné au documentaire une résonance nouvelle pour un large public avec son Pays des sourds (1992), avant de faire un triomphe avec Etre et avoir (2002), passionnante plongée dans le petit monde de la classe unique d’une école de la campagne française. Avec Retour en Normandie, le réalisateur retrouve l’univers rural, mais pour un projet de nature bien différente. Trente-deux ans plus tard, il s’est en effet mis en tête de retrouver les lieux de tournage et, surtout, les interprètes d’un film fameux et controversé de René Allio, dont il fut à l’époque l’assistant : Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma s£ur et mon frère. Tournée en 1975 (Philibert avait alors 24 ans), cette £uvre singulière, au scénario de laquelle travailla Michel Foucault, recrée un fait divers survenu dans le bocage normand en 1835, quand un jeune paysan avait massacré à coups de serpe une bonne partie de sa famille. Incarcéré dans l’attente de son procès, ce criminel qu’on pensait simple d’esprit avait rédigé une confession d’une surprenante qualité littéraire, laquelle servait de base au film d’Allio.

Trois décennies plus tard, Nicolas Philibert a rendu visite aux interprètes, tous non-professionnels et vivant toujours dans le même coin de campagne, sauf celui qui incarnait Pierre Rivière, et dont on cherche la trace à l’étranger, en espérant le voir revenir pour témoigner lui aussi de l’aventure que fut le tournage de 1975. Hommage vibrant à René Allio, qui aimait se comparer au chiendent dont on ne se débarrasse jamais, Retour en Normandie explore les possibles d’un cinéma où fiction et réalité dialoguent intensément.  » Cette expérience de jeunesse a irrigué tout ce que j’ai pu faire par la suite dans mon propre travail, commente Philibert, aussi parce que c’était une expérience collective, du cinéma partagé, et qu’elle nous tirait tous vers le haut…  »

Avec ses riches échos moraux, psychanalytiques, spirituels, humanistes, le film reprend assez de séquences de Moi, Pierre Rivière… pour capter l’attention d’un public non familier du film de 1975, objet, à l’époque, d’une forte controverse pour le regard porté sur un triple assassin, par-delà les notions de bien et de mal. S’il n’aura pas, et de loin, la diffusion de Etre et avoir, Retour en Normandie confirme l’art et le souci qu’a Philibert de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas.

**** 4 mois, 3 semaines et 2 jours : l’épreuve vécue par deux étudiantes au c£ur d’un film au réalisme impressionnant, Palme d’or au Festival de Cannes.

*** Control : un excellent portrait de Ian Curtis, chanteur précocement disparu de Joy Division.

*** Le Mariage de Tuya : un mémorable portrait de femme mongole, Ours d’or du Festival de Berlin.

*** La Face cachée : par et avec Bernard Campan, un film prenant sur la crise d’un homme et de son couple.

** Un secret : une tragédie familiale cachée bouleverse l’existence d’un jeune garçon dans ce film très émouvant de Claude Miller.

** Ben X : à voir seulement en Flandre et à Bruxelles, ce film belge mêle habilement mondes réel et virtuel.

** Un c£ur invaincu : Angelina Jolie est remarquable dans le rôle de l’épouse de Daniel Pearl.

** La Maison : Sergi Lopez retrouve Manuel Poirier pour un film intimiste où la vente d’une maison a des répercussions marquantes.

** A Vif ( The Brave One) : de victime, Jodie Foster devient vengeresse, pour ce thriller psychologique de Neil Jordan.

** Half Moon : un vieux musicien kurde veut passer d’Iran en Irak pour y donner un concert, dans ce film à l’austérité assumée.

** L’Age des ténèbres : un gratte-papier s’imagine une vie fantasmée dans ce film doux-amer de Denys Arcand.

l Sicko : trop de démagogie nuit à ce documentaire populiste épinglant par ailleurs de manière juste le système de santé américain.

Louis Danvers