Clinquant et ferveur du Reine Elisabeth

Les projecteurs du concours Reine Elisabeth session violon 2009 se sont éteints la nuit du 30 mai. Dans cette atmosphère si singulière conjuguant mondanité et exaltation, musicalité et performance. Bilan d’une grand-messe de la musique classique.

Mèche noire façon Elvis, magnétisme facétieux, générosité sans esbroufe, l’Australien Ray Chen a imposé l’évidence de sa supériorité au fil de sa prestation. Les présomptions de victoire s’avéraient déjà fortes dès sa sonate de Franck. La luminosité de son premier mouvement du concerto de Tchaïkovski ne laissait plus aucun doute. Le jury a donc logiquement attribué le premier prix au cadet de l’épreuve. Un palmarès bien accepté dans l’ensemble.

Les observateurs s’attendaient aussi à voir figurer tout en haut du classement le Moldave Ilin Gârnet (3e prix). Sa lecture du concerto n°1 de Chostakovitch suscita un de ces moments d’emballement dont raffole le concours :  » J’ai enfin compris comment il fallait prendre cette £uvre colossale « , confie un violoniste dans le public.

Pour certains, le deuxième prix attribué à Laurenzo Gatto, s’il flatte notre orgueil national, prête à discussion. Sa lecture impeccable du concerto de Paganini pécherait par manque d’audace face à celle de Gârnet dans Chostakovitch. En revanche, son interprétation de la sonate n°3 d’Enescu surpassait celle de Gârnet dans la 3e sonate de Brahms.

D’où la question de l’évaluation de ces jeunes artistes issus de l’élite mondiale.  » Ce sera la première et la dernière fois que je participerai à un jury de concours « , affirme Vadim Repin. Invité à siéger pour cette finale, le génial violoniste russe remporta lui-même le premier prix à l’âge de 17 ans.  » Je refuse de me prendre pour Dieu, c’est trop dérangeant… Il y a trop d’approches différentes mais légitimes une fois que l’on atteint ce niveau d’excellence.  » Pourquoi a-t-il accepté ?  » Parce que ce concours est exceptionnel, c’est à la fois le plus prestigieux et le plus difficile .  » C’est aussi un des moins subjectifs, l’avis du jury résultant du simple total des points, sans délibération.  » C’est même frustrant, j’avais envie d’échanger avec mes collègues, mais le règlement l’interdit.  »

On connaît les arguments des détracteurs : priorité à la performance spectaculaire au détriment de la  » vraie  » musique. Nouvel avatar de la mondialisation, une telle épreuve favoriserait l’uniformatisation : pour être un bon lauréat, il faut choisir un programme qui en met plein les oreilles (et les yeux) sans prendre trop de risques. Le succès en finale des sonates de Ravel ou de Debussy irait dans ce sens.

Mais les contre-exemples abondent, ainsi du choix courageux de la 10e sonate de Beethoven par Nikita Borisoglebsky (5e prix). Si le concours mobilise panache et séduction, il peut aussi magnifier la musicalité. Preuve éclatante avec Kim Suyoen. Dans les coulisses de l’orchestre, un bruit s’était répandu avant sa prestation : si elle joue le concerto de Beethoven comme à la répétition, elle gagne ! Mais chez les solistes, on raconte qu’une trop bonne répétition porte la poisse. Ce fut le cas pour Kim, avec son effrayant passage à vide lors du premier mouvement. Contredisant la virtuosité sans faille comme critère absolu, le jury n’a pourtant pas (trop) pénalisé la Coréenne puisqu’elle remporte le 4e prix. Son larghetto restera comme un authentique moment de grâce. Comme si elle voulait effacer, par une expressivité transcendée, l’amertume de sa défaillance.

Philippe Marion

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